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l’œuf crocodilesque des traditionnelles usures. Mais il est certain qu’une émulation inouïe, un vrai délire de charité est en train de ravager les riches, — les riches catholiques surtout, — que l’ingratitude des crevants de misère ose venimeusement qualifier de l’épithète d’horribles mufles.

Dans la pratique des choses religieuses, cette exquise sensibilité se manifeste avec les accompagnements variés de la plus suave précaution. On s’attendrit au pied des autels, on pleure de douces larmes sur de chers défunts qu’on croit au ciel, ce qui dispense de la fatigue de prier pour eux à des messes qu’on aurait payées ; on fait de toutes petites aumônes fraternelles, pour ne pas exposer le pauvre aux tentations de la débauche et pour ne pas contrister son âme par l’ostentation d’un faste excessif ; on s’abstient amoureusement de parler de Dieu et de ses saints, par égard pour l’obstination des incrédules qui pourraient en être horripilés, et on parle encore bien moins de l’héroïsme de la pénitence à une foule de chrétiens tempérés qui répondraient, sans doute, que Dieu n’en demande pas tant. La question des pèlerinages lointains ou difficiles, tels que celui de Jérusalem, est délicatement écartée, par le même instinct de bienveillance qui voudrait épargner à ceux qui travaillent dans la piété l’ombre d’un dérangement ou d’une incommodité. Enfin, le sentiment religieux réalise, aujourd’hui, l’idéal de ce grand penseur catholique, ennemi des exagérations, qu’on appelle Molière, qui voulait que la dévotion fût « humaine, traitable », et qu’on n’assassinât personne avec un fer sacré.

Opportunément secourus par cette heureuse déli-