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gent dévore la substance et boit la sueur. Il lui semblait, maintenant, n’en avoir pas assez dit et il regrettait amèrement de n’y pouvoir plus rien ajouter.

C’est qu’en effet, c’est un peuple, ce troupeau, c’est tout un état au sein de l’État. Jamais il ne s’était vu une telle affluence de pélicans méconnus, ni une persécution plus dioclétienne exercée sur de plus déchirés martyrs.

Le temps est trop précieux pour qu’on le perde à faire remarquer le merveilleux désintéressement, l’indicible générosité, l’étonnante fraîcheur d’âme des praticiens actuels de la richesse ou du pouvoir et, en général, de tout personnage influent, à n’importe quel titre, sur ce mauvais monde indigne de le posséder. Chacun sait que ces intendants de la joie publique s’épuisent à dilater le cœur du pauvre et s’exterminent à désœuvrer le malheur.

Une indiscutable prospérité universelle est leur œuvre, et l’exclusive ambition de la rendre parfaite est leur quotidien souci. Il est presque sans exemple, aujourd’hui, que l’indigence implorante soit inécoutée et que d’heureux individus le veuillent être solitairement. Il ne se voit pour ainsi dire pas, que des industriels ou des politiques, diligemment parvenus, oublient de tendre une secourable dextre à l’homme de mérite enregistré au passif du sombre destin, ou qu’ils se refusent à l’arrosage opportun de la languissante vertu.

On ne sait à quelle bénigne ingérence sidérale il convient de rapporter cette inespérée disette d’égoïstes calculs humains, cette favorable aridité du vieux cactus de l’avarice, cette inéclosion surprenante de