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possibilité presque absolue de dénicher un véritable moine qui ne fût ni un trappiste ni un chartreux.

Il est vrai que, pour en juger, il avait un autre critérium que les malfaisants gobeurs du boniment anticlérical. Mais il voyait bien que, sur ce point, l’instinct obsidional de la haine avait été aussi discernant que la plus jalouse sollicitude. Il s’agit, en effet, pour les ennemis de la foi, de la bloquer aussi étroitement que possible, et, certes, le théologien le mieux armaturé et le plus savamment fourbi ne verrait pas mieux l’importance vitale pour le christianisme, de ces dernières citadelles de l’esprit évangélique.

L’armée de siège se recrute, d’ailleurs, de la cohue des catholiques modernes, lesquels en ont tout leur soûl, depuis longtemps, de cet esprit-là. Admirable et providentiel renfort ! La sentimentalité religieuse accourant à la rescousse des modernes persécuteurs ! La poésie, le roman, l’histoire, le théâtre même, les bals de charité et les sociétés de bienfaisance, les souscriptions pour les inondés et les brûlés, l’immense remuement d’entrailles qui fait la gloire et la fortune des reporters de cour d’assises, enfin les attendrissements lyriques de la presse entière sur tous les genres de catastrophes, attestent suffisamment l’imprévu retour de jeunesse de la sensibilité chrétienne.

Ce prodige, plus facilement observable des hauteurs de la Grande Chartreuse, rappelait à Marchenoir un article célèbre qu’on avait pris pour une ironie et qu’il avait intitulé : La Cour des Miracles des millionnaires, — désignant ainsi l’intéressante multitude des heureux pleins de charité, dont l’indi-