Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
le désespéré

et, par conséquent, sans principes comme sans passions, comblé des dons de la médiocrité, — cette force à déraciner des Himalayas ! — pouvait raisonnablement prétendre à tous les succès.

Quand l’heure fut venue, il n’eut qu’à toucher du doigt les murailles de bêtise de la grande Publicité pour qu’elles tombassent aussitôt devant lui et pour qu’il entrât, comme un Antiochus, dans cette forteresse imprenable aux gens de génie, avec les cent vingt éléphants futiles chargés de son bagage littéraire.

Sa prépondérante situation d’écrivain est désormais incontestable. Il ne représente rien moins que la Littérature française !

Bardé de trois volumes d’une poésie bleuâtre et frigide, en excellent acier des plus recommandables usines anglaises, — au travers de laquelle il peut défier qu’on atteigne jamais son cœur ; inventeur d’une psychologie polaire, par l’heureuse addition de quelques procédés de Stendhal au dilettantisme critique de M. Renan ; sublime déjà pour les haïsseurs de toute virilité intellectuelle, il escalada enfin les plus hautes frises, en publiant les deux premiers romans d’une série dont nul prophète ne saurait prévoir la fin, car il est persuadé d’avoir trouvé sa vraie voie.

Il faut penser à l’incroyable anémie des âmes modernes dans les classes dites élevées, — les seules âmes qui intéressent Dulaurier et dont il ambitionne le suffrage, — pour bien comprendre l’eucharistique succès de cet évangéliste du Rien.

Raturer toute passion, tout enthousiasme, toute indépendance généreuse, toute indécente vigueur