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qu’ils font par charité chez les autres hommes. Mais le silence est leur patrie. »

Au temps de la Réforme, un grand nombre de chartreuses furent saccagées ou supprimées et beaucoup de religieux souffrirent le martyre, tel que les calvinistes et autres artistes en tortures savaient l’administrer dans ce siècle renaissant, d’une si prodigieuse poussée esthétique.

— Pourquoi gardes-tu le silence au milieu des tourments, pourquoi ne pas nous répondre ? disaient les soldats du farouche Chareyre qui, depuis quelques jours, faisaient endurer d’atroces douleurs au vénérable père Dom Laurent, vicaire de la Chartreuse de Bonnefoy.

— Parce que le silence est une des principales Règles de mon ordre, répondit le martyr.

Les supplices étaient une moindre angoisse que la parole, pour ce contemplateur dont le silence était la patrie et qui n’avait pas même besoin de se souvenir de l’obéissance !

La nuit a de singuliers privilèges. Elle ouvre les repaires et les cœurs, elle déchaîne les instincts féroces et les passions basses, en même temps qu’elle dilate les âmes amoureuses de l’éternelle Beauté. C’est pendant la nuit que les cieux peuvent raconter la gloire de Dieu, et c’est aussi pendant la nuit que les anges de Noël annoncèrent la plus étonnante de ses œuvres. Deus dedit carmina in nocte. Ces paroles de Job n’affirment-elles pas, à leur manière, la mystérieuse symphonie des louanges nocturnes autour de la Bien-Aimée du saint Livre, si noire et si belle, dont la nuit elle-même est un symbole, suivant quelques interprètes.