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averti ! Ce traître de Leverdier, pourquoi donc n’avait-il rien dit ? Ah ! C’est qu’apparemment il jugeait le mal sans remède et, dès lors, à quoi bon infliger cette révélation à un ami déjà surchargé de peines ? Peut-être aussi, ne l’avait-il envoyé aux Chartreux que pour cela, comptant bien, sans doute, qu’un ulcère qui sautait aux yeux n’échapperait pas à leur clairvoyance.

Muni de ce flambeau, Marchenoir descendit dans les cryptes les plus ténébreuses de sa conscience et sa stupéfaction, son épouvante, furent sans bornes. Rien ne tenait plus. Les contreforts de sa vertu croulaient de partout, les madriers et les étançons en bois de fer de sa volonté, par lesquels il avait cru narguer toutes les défaillances de la nature, pourris et vermoulus, tombaient littéralement en poussières. Tout sonnait le creux et la ruine. C’était un miracle que l’effondrement ne se produisît pas. Il allait donc falloir vivre sur ce gouffre, au petit bonheur de l’éboulement. Impossible de prévenir le désastre et nul moyen de fuir. L’évidence du danger arrivait trop tard.

Triple imbécile ! il s’était imaginé que l’amitié est une chose espérable entre un homme et une femme qui n’ont pas au moins deux cents ans et qui vivent tous les jours ensemble ! Cette superbe créature, à laquelle il venait de découvrir qu’il pensait sans cesse, il avait cru bêtement qu’elle pourrait être pour lui une sœur, rien que cela, qu’il pourrait lui être un frère et qu’on irait ainsi, dans les chastes sentiers de l’amour divin, — indéfiniment. — Je suis cuit, pensa-t-il, sans rémission, cette fois.

Effectivement, cela devenait effroyable. Le premier