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le désespéré

même de votre talent, si heureusement pondéré, éloigne jusqu’au soupçon du plus vague rêve de dictature littéraire.

« Vous êtes, sans aucune recherche, ce que je ne pourrais jamais être, un écrivain aimable et fin, et vous ne révolterez jamais personne, — ce que, pour mon malheur, j’ai passé ma vie à faire. Vos livres portés sur le flot des éditions innombrables vont d’eux-mêmes dans une multitude d’élégantes mains qui les propagent avec amour. Heureux homme qui m’avez autrefois nommé votre frère, je crie donc vers vous dans ma détresse et je vous appelle à mon aide !

« Je suis sans argent pour les funérailles de mon père et vous êtes le seul ami riche que je me connaisse. Gênez-vous un peu, s’il le faut, mais envoyez moi, dans les vingt-quatre heures, les dix ou quinze louis strictement indispensables pour que la chose soit décente. Je suis isolé dans cette ville où je suis né, pourtant, et où mon père a passé sa vie en faisant, je crois, quelque bien. Mais il meurt sans ressources et je ne trouverais probablement pas cinquante centimes dans une poche de compatriote.

« Donnez-vous la peine de considérer, mon favorisé confrère, que je ne vous ai jamais demandé un service d’argent, que le cas est grave, et que je ne compte absolument que sur vous.


« Votre anxieux ami,


« Caïn Marchenoir. »