Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.

même involontaire, n’appelle-t-il pas une compensation ?

— En un mot, vous voudriez savoir quelle est leur récompense ou leur salaire. Si je le savais pour vous l’apprendre, je serais Dieu, Mademoiselle, car je saurais alors ce que les animaux sont en eux-mêmes et non plus, seulement, par rapport à l’homme. N’avez-vous pas remarqué que nous ne pouvons apercevoir les êtres ou les choses que dans leurs rapports avec d’autres êtres ou d’autres choses, jamais dans leur fond et dans leur essence ? Il n’y a pas sur terre un seul homme ayant le droit de prononcer, en toute assurance, qu’une forme discernable est indélébile et porte en soi le caractère de l’éternité. Nous sommes des « dormants », selon la Parole sainte, et le monde extérieur est dans nos rêves comme « une énigme dans un miroir ». Nous ne comprendrons ce « gémissant univers » que lorsque toutes les choses cachées nous auront été dévoilées, en accomplissement de la promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ. Jusque-là, il faut accepter, avec une ignorance de brebis, le spectacle universel des immolations, en se disant que si la douleur n’était pas enveloppée de mystère, elle n’aurait ni force ni beauté pour le recrutement des martyrs et ne mériterait même pas d’être endurée par les animaux.

À ce propos, j’aimerais à vous dire une singulière histoire, une bien singulière et bien triste histoire… Mais j’aperçois Gacougnol qui nous fait des signes. S’il veut m’honorer de la même attention que vous, je pense qu’il me sera profitable à moi-même de la raconter.