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triste suivi d’un animal désolé. L’angélique chien du Pauvre, par exemple, dont les guitares de la romance ont tant abusé, ne vous semble-t-il pas une représentation de son âme, une perspective douloureuse de ses pensées, quelque chose enfin comme le mirage extérieur de la conscience de ce malheureux ? Quand nous voyons une bête souffrir, la pitié que nous éprouvons n’est vive que parce qu’elle atteint en nous le pressentiment de la Délivrance. Nous croyons sentir, comme vous le disiez à l’instant, que cette créature souffre sans l’avoir mérité, sans compensation d’aucune sorte, puisqu’elle ne peut espérer d’autre bien que la vie présente et qu’alors c’est une effroyable injustice. Il faut donc bien qu’elle souffre pour nous, les Immortels, si nous ne voulons pas que Dieu soit absurde. C’est Lui qui donne la Douleur, parce qu’il n’y a que Lui qui puisse donner quelque chose, et la Douleur est si sainte qu’elle idéalise ou magnifie les plus misérables êtres ! Mais nous sommes si légers et si durs que nous avons besoin des plus terribles remontrances de l’infortune pour nous en apercevoir. Le genre humain paraît avoir oublié que tout ce qui est capable de pâtir depuis le commencement du monde est redevable à lui seul de soixante siècles d’angoisses, et que sa désobéissance a détruit le précaire bonheur de ces créatures dédaignées par son arrogance d’animal divin. Encore une fois, ne serait-il pas bien étrange que la patience éternelle de ces innocents n’eût pas été calculée par une infaillible Sagesse, en vue de contrepeser, dans les