Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! Mademoiselle, il faudrait demander auparavant où est la limite de l’homme. Les zoologistes qui font leurs petites étiquettes à deux pas d’ici vous apprendraient exactement les particularités naturelles qui distinguent de toutes les espèces inférieures l’animal humain. Ils vous diraient que c’est tout à fait essentiel de n’avoir que deux pieds ou deux mains et de ne posséder, en naissant, ni des plumes ni des écailles. Mais cela ne vous expliquerait pas pourquoi ce malheureux tigre est prisonnier. Il faudrait savoir ce que Dieu n’a révélé à personne, c’est-à-dire quelle est la place de ce félin dans l’universelle répartition des solidarités de la Chute. On a dû vous enseigner, ne fût-ce qu’au catéchisme, qu’en créant l’homme, Dieu lui a donné l’empire des bêtes. Savez-vous qu’à son tour Adam a donné un nom à chacune d’elles et qu’ainsi les bêtes ont été créées à l’image de sa raison, comme lui-même avait été formé à la ressemblance de Dieu ? car le nom d’un être, c’est cet être même. Notre premier ancêtre, en nommant les bêtes, les a faites siennes, d’une manière inexprimable. Il ne les a pas seulement assujetties comme un empereur. Son essence les a pénétrées. Il les a fixées, cousues à lui pour jamais, les affiliant à son équilibre et les immisçant à son destin. Pourquoi voudriez-vous que ces animaux qui nous entourent ne fussent point captifs, quand la race humaine est sept fois captive ? Il fallait bien que tout tombât à la même place où tombait l’homme. On a dit que les bêtes s’étaient révoltées contre l’homme, en même temps que l’homme s’était révolté contre