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son pain. Elle ne s’écriait pas sur la nouveauté des choses se bornant à demander, avec l’ingénuité la plus rapide, les indispensables explications et ne s’excusant pas d’avoir bravement faim et soif, ainsi qu’il convenait à une robuste fille dont la faiblesse actuelle était surtout la conséquence de beaucoup d’années de privations et de chagrins noirs.

Enfin, tout en elle évoquait l’image d’une vive aiglonne grandie jusqu’alors dans les lieux obscurs, et reconnaissant aussitôt son ciel.

Dans sa parole et dans son visage, il y avait tout juste comme une impression de rapatriement et de renouveau.

Elle disait les mêmes choses qu’elle aurait pu dire quelques heures auparavant, étant toujours prisonnière dans le même cerceau d’idées pâles, circonscrites par un polygone de ténèbres. Mais elle les disait d’une voix plus ferme, que les imbéciles n’auraient pas manqué de croire ambitieuse, précisément parce qu’elle était timbrée d’une humilité plus profonde.

Sa physionomie n’était pas moins touchante et moins douce, et ses sublimes yeux avaient toujours leur intraduisible expression d’après l’orage, mais son sourire était à peine un peu moins navré.

On voyait qu’une peine immense persistait au fond de sa joie qui ne serait peut-être que d’un jour et bâtie avec l’illusion de l’illusion, comme les châteaux de vapeurs des enfants des pauvres.

Cependant l’excellent repas que lui donnait Gacougnol, et, surtout, le très bon vin de Bourgogne qu’il fit apporter,