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aubaine incroyable, avec la même douceur qu’elle eût accepté les avanies.

Semblable à tous les souffrants qui croient surprendre un sourire à la bouche de bronze de leur destin, elle s’abandonnait délicieusement à l’illusion d’avoir obtenu sa grâce.

Et puis, cette pensée qu’elle allait enfin être habillée, la suffoquait, l’étranglait, lui serrait le cœur. Sortir une bonne fois de ces affreuses guenilles que les mendiantes auraient méprisées ! Ne plus sentir sur elle cette robe infâme qui la salissait, qui la flétrissait, dont le voisinage aurait fait mourir les fleurs ! — robe de tristesse et d’ignominie que son misérable amant lui avait donnée autrefois et qu’elle portait, uniquement parce qu’il n’avait jamais été possible de la remplacer.

Oh ! cette robe d’un rouge vomi de mastroquet en déconfiture, délavée par les pluies de vingt saisons, mangée par tous les soleils, calcinée par toutes les fanges, effiloquée jusqu’à l’extinction du tissu et ravaudée, semblait-il, par la couturière des balafres ou des autopsies !… En être débarrassée, délivrée, ne plus la voir, la jeter, en fuyant, dans quelque ruisseau où les ramasseurs d’ordures la dédaigneraient !…

Était-ce possible qu’il y eut des hommes si généreux ! Certes, oui, qu’elle allait poser de bon cœur, tant qu’on voudrait, et ce ne serait pas sa faute, à elle, si cet artiste ne faisait pas un chef-d’œuvre, car elle poserait comme personne, assurément, n’avait jamais pu poser ! Elle serait de pierre sous son regard.