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poids des pluies, la terre s’est affaissée et les pierres sont sorties en si grand nombre que même les chardons ne peuvent y croître. Bientôt la croix tombe, pourrit sur le sol, le nom du misérable s’efface et n’existe plus que sur un registre de néant.

Léopold et Clotilde ont grande pitié de ces oubliés, mais ce qui les navre de charité, c’est la foule des petites tombes. Il faut visiter les vastes nécropoles de la banlieue de Paris pour savoir ce qu’on tue d’enfants dans les abattoirs de la misère. On y voit des lignes presque entières de ces couchettes blanches, surmontées d’absurdes couronnes en perles de verre et de médaillons de bazar où s’affirment des sentimentalités exécrables.

Il y en a pourtant de naïves. De loin en loin, dans une sorte de niche fixée à la croix, sont exposés, avec la photographie du petit mort, les humbles jouets qui l’amusèrent quelques jours. Souvent Léopold a vu s’agenouiller, devant l’une d’elles, une vieille femme désolée. Elle était si vieille qu’elle ne pouvait plus pleurer. Mais sa plainte était si douloureuse que les étrangers qui l’entendaient pleuraient pour elle.

— La pauvre vieille n’est pas là, dit-il. J’aurais voulu la revoir. Il me semble que j’aurais eu le courage de lui parler, aujourd’hui… Peut-être qu’elle est elle-même couchée maintenant, tout près d’ici. La dernière fois, elle paraissait se traîner à peine.

— Heureux ceux qui souffrent et qui pleurent ! mon cher ami, lui répond sa femme dont le beau visage