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La noblesse pressentie des nouveaux venus devait donc infailliblement ranimer l’instinct de la solidarité dans une racaille disséminée aux divers étages du saint-frusquin, et la sympathie d’individus accoutumés à jeter leurs cœurs dans les balances de leurs comptoirs, pour contre-peser frauduleusement d’un milligramme la charogne ou la margarine, pouvait-elle ne pas être acquise d’avance à une salope rebutée par des magnanimes ? Il n’y eut qu’un cri pour condamner cet artiste à la bourse plate qui brutalisait les femmes. Dès lors tout fut permis à Madame Poulot.

Pour commencer, elle guetta les absences de Léopold dont la rudesse malgracieuse la désarçonnait. Quand elle avait acquis la certitude que la pauvre Clotilde était seule, elle s’installait à sa fenêtre et ne perdait aucune occasion de l’insulter. La malheureuse ne pouvait se montrer dans son jardin ni s’aventurer dans la rue sans subir quelque avanie.

L’huissière, très roublarde, ne se risquait pas à des injures directes. Elle interpellait les passants, les interrogeait, les consultait, les excitait à l’insolence par des allusions ou insinuations vociférées. À défaut d’interlocuteur, elle se parlait à elle-même, dégorgeant et réavalant son ordure pour la revomir avec fracas, aussi longtemps que sa victime pouvait l’entendre.

Quand celle-ci, déterminée à ne rien savoir, baissait la tête et, se souvenant de son enfant mort, tâchait de prier pour d’autres morts qui n’étaient pas encore sous la terre, la drôlesse triomphante sonnait la fanfare de son rire de