Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cela puisse paraître, on croyait généralement qu’elle gardait pour lui seul tous ses trésors. Telle était du moins l’opinion de la tripière et du vidangeur, compétentes autorités qu’il eût été assez téméraire de démentir.

Ce qu’il y avait de sûr, c’est que les absences de l’huissier, forcé quelquefois de mobiliser son entregent, ne déterminaient en sa femme qu’une bénigne et réparable désolation. Elle chantait alors, sûre d’elle-même, quelques-unes de ces sentimentales romances dont raffolent ordinairement les cœurs effeuillés, dans les maisons closes, et que gazouillent, aux heures lourdes et inoccupées de l’après-midi, les Arianes du volet poireau, pour le rafraîchissement du promeneur valétudinaire.

Virtuose pleine de bonté, elle ouvrait sa fenêtre toute grande et faisait au pays entier l’aumône de son nostalgique ramage. « L’amour sans retour » graillonnait un peu, sans doute, et « le pâle voyageur » sentait vaguement le torchon. Par instants, il faut l’avouer, des voisins rebelles à la poésie se calfeutraient. Était-ce là une raison pour sevrer les autres ? On ne musèle pas les nobles cœurs, le rogomme connaît son prix et l’oiseau bleu ne se laisse pas couper les ailes.

Mais, seule ou non, on était toujours sûr d’entendre son rire. Tout le monde l’avait entendu, tout le monde le connaissait, et ce rire passait avec raison pour une des curiosités de l’endroit.

L’accès en était si fréquent, si continuel, qu’il fallait sans doute moins que rien pour l’exciter et on n’arrivait