Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Séraphins épouvantés, — quel rafraîchissement de se retirer en un lieu quelconque où on est vraiment chez soi, vraiment seul, vraiment séparé, où on peut décoller le masque exigé par l’indifférence universelle, et fermer sa porte, et prendre sa douleur par la main, et la presser longuement sur sa poitrine, à l’abri des douces murailles qui cachent les pleurs ! Cette consolation des plus pauvres était refusée aux deux misérables.

— Chère amie, dit un soir Léopold à sa femme, qui n’avait pu retenir une crise de sanglots, je crois lire dans ta pensée. Ne me dis pas non. Quelques-unes de tes paroles m’ont averti depuis longtemps. Tu te reproches d’être funeste à ceux qui t’aiment, n’est-il pas vrai ? Je ne sais si une telle crainte est permise à une chrétienne qui mange tous les jours le Corps de son Juge. En vérité, je ne le sais pas et peut-être les plus forts ne le savent-ils pas davantage. Mais je veux, un instant, la supposer légitime. Te voilà donc terrible. Ta présence attire les bourdons de la mort, le bruit de tes pas éveille le malheur, ta voix douce encourage la coalition de l’aspic et du basilic. À cause de toi, on est massacré, on devient aveugle, on meurt de chagrin, on est captif dans les lieux infects… Qu’est-ce que cela prouve, sinon que ton importance est grande et ta voie très exceptionnelle ? Pourquoi ne serais-tu pas, en vertu de quelque décret préalable à ta naissance, une excitatrice de Dieu, une pauvre petite personne qui met en émoi sa justice ou sa bonté ? Il y a des êtres comme cela et l’Église en a catalogué un certain