Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

enverrait un autre voyou. Il laissa même entrevoir gracieusement l’éventualité d’une autopsie !…

Le deuxième savant, imploré presque à genoux, se montra flexible et l’horreur suprême fut épargnée à ces malheureux. Mais à cela près, la mesure fut comble. Pendant deux nuits consécutives, ils purent manger et boire leur tourment et garder encore de ce viatique pour le reste de leurs jours.

Des deux écrasés, Clotilde parut la plus forte et fut obligée de secourir son compagnon. Cet artiste si ombrageux, cet aventurier affronteur de toutes les morts, ce téméraire d’entre les casse-cou, dont on n’avait jamais vu le cœur faillir, eut besoin de s’appuyer sur sa femme pour ne pas tomber.

Il se rappelait un geste, rien qu’un geste. Le soir qui avait précédé la catastrophe, au moment où il allait monter dans sa chambre, l’enfant s’était détourné de sa mère et avait tendu vers lui une de ses mains pour le caresser à son ordinaire. Mais Clotilde, qui n’était parvenue qu’à peine à faire prendre le sein au petit malade et qui craignait une distraction, avait éloigné d’un signe de tête son pauvre mari que le souvenir de ce geste puéril, de cette dernière caresse perdue, torturait maintenant d’une manière affreuse. Car l’âme humaine est un gong de douleur où le moindre choc détermine des vibrations qui grandissent, des ondulations indéfiniment épouvantables…

Funérailles d’indigents, cimetière de Bagneux, fosse commune… Ah ! toutes ces choses, dans la neige !