Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quelle heure pouvait-il être ? Elle ne le sut jamais. Il pleuvait un silence énorme, un de ces silences qui font perceptible la rumeur des petites cataractes artérielles…

L’enfant exhale une plainte faible. La mère ayant essayé vainement de le faire boire, il s’agite, paraît soudain tout égaré, jette ses bras mignons contre l’Invisible, à la manière des puissants qui meurent, et commence le râle de son agonie.

Clotilde, comblée d’effroi, mais ne comprenant pas encore que c’est la fin, met la tête du cher souffrant sur son épaule, dans une position qui l’a plus d’une fois calmé, et se promène longtemps en larmes, le suppliant de ne pas la quitter, appelant à son secours les Vierges Martyres à qui les lions ou les crocodiles mangeaient les entrailles pour l’amusement de la populace.

Elle voudrait bien la présence de son mari, mais elle n’ose élever la voix et l’escalier est si difficile dans les ténèbres, surtout avec un pareil fardeau ! À la fin, le petit être tombe de son cou sur son sein, et elle comprend.

— Léopold ! notre enfant meurt ! crie-t-elle d’une voix terrible.

Celui-ci a dit plus tard que cette clameur l’avait atteint dans son sommeil, comme un bloc de marbre atteint le plongeur au fond d’un gouffre. Accouru tel qu’un projectile, il n’eut que le temps de recueillir le dernier frisson de cette commençante vie, le dernier regard sans lumière de ces yeux charmants dont l’azur clair se faïença, s’émailla d’une vitre laiteuse qui les éteignit…