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gueule si despotique, appuyé d’un regard si lourd, que le frémissant cocher, supposant une conflagration planétaire, partit au galop.

Une heure après, on déjeunait en tête à tête, loin des bruits, sous un berceau de verdure. Ainsi recommençait pour Clotilde la péripétie du début de ses relations avec Gacougnol, mais combien les circonstances étaient changées !

Il n’y avait pas à dire, elle s’était elle-même spontanément trahie, et n’en éprouvait que de la joie, une joie immense, une joie à donner la mort !

Comment le croire ? Il lui avait suffi de rencontrer Léopold pour sentir qu’elle ne s’appartenait absolument plus, pour que disparussent les craintes, les pressentiments de malheur, les fantômes impitoyables qui l’avaient tant obsédée…

Un seul point, très essentiel, il est vrai, reliait les deux aventures. Dans l’une et l’autre, un homme avait eu pitié de sa détresse. Seulement, ici, dans ce lieu aimable et solitaire, elle était en présence d’un être qui l’adorait et qu’elle adorait. Pour la première fois, elle se souvint de Gacougnol sans trop souffrir. « Mon enfant, lui avait-il dit, prenez avec simplicité ce qui vous arrive d’heureux. » Ces mots lui étaient restés avec bien d’autres. Ils lui traversaient l’esprit comme de la lumière, tandis qu’elle contemplait son compagnon, et il lui semblait que la plus subtile essence des choses que Dieu a formées s’en venait vers elle pour la caresser, pour l’enivrer.