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Léopold s’assit auprès d’elle. Il avait la mine passablement ravagée et paraissait, en ce moment, hors de lui-même. Il la considéra quelque temps, les lèvres tremblantes, à la fois ravi et hagard, ayant l’air de la respirer comme un parfum dangereux. Enfin il se décida :

— Vous ne me cherchiez pas, je ne le sais que trop… Vous êtes malheureuse, je le vois bien, ma pauvre petite… Mais pourquoi dites-vous que nous sommes deux malheureux ?

— Hélas ! Il m’a suffi de vous regarder. Aussitôt je me suis sentie fondre de pitié et j’aurais voulu vous faire entrer dans mon cœur !

Elle leva sur lui des yeux sublimes. Puis, ses paupières battirent. Devenue trop lourde, sa tête s’inclina, tomba sur la poitrine bouleversée de cet homme et, d’une voix tout à fait éteinte qui ressemblait à un souffle, elle murmura :

Je meurs de faim, mon Léopold, donne-moi à manger.

L’amoureux pensa que tout l’azur et tout l’or du ciel croulaient sur lui et autour de lui. Le sable du jardin lui parut une jonchée de diamants aux feux tabifiques dont il fut criblé. Une seconde, les fracas puissants de la Volupté, de la Compassion qui déchire, de la Tendresse infinie, tordues en un seul carreau, le foudroyèrent.

Mais ce farouche, qui avait vaincu le désert, se dressa au milieu du foudroiement et, d’un bond, porta le fragile corps dans une voiture vide qui passait.

— Gare Montparnasse ! commanda-t-il d’un coup de