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qu’elle avait vu dans son rêve n’était que trop disposé à prendre contact.

Un jour, enfin, le 14 juillet 1880, elle vint s’asseoir, épuisée, sur un banc du Luxembourg. Elle avait donné, la veille, ses derniers sous à un logeur de très bas étage et ne pouvait plus acheter le morceau de pain qu’elle mangeait ordinairement dans la rue. À peine vêtue, n’ayant gardé des deux ou trois toilettes offertes par l’ami défunt que le strict nécessaire ; sans gîte maintenant et sans pâture, elle se voyait désormais livrée à Dieu seul, — comme une Chrétienne à un Lion.

Elle venait d’entendre à Saint-Sulpice une de ces messes basses qui s’expédièrent fébrilement, ce jour-là, dans toutes les églises paroissiales, impatientes de fermer leurs portes à triple tour.

Il était environ dix heures du matin. Le jardin était à peu près désert et le ciel d’une douceur merveilleuse.

Le soleil faisait semblant de se diluer, de s’extravaser dans un bleu mitraillé d’or que noyait à l’horizon une lactescence d’opale.

Les puissances de l’air paraissaient en complicité avec la canaille dont c’était le grand jubilé. Le solstice tempérait ses feux, pour que six cent mille goujats se soûlassent confortablement au milieu des rues transformées en cabarets ; la rose des vents bouclait son pistil, ne laissant flotter qu’un léger souffle pour l’ondulation des oriflammes et des étendards ; les nuages et le tonnerre étaient refoulés, pourchassés au delà des monts lointains, chez les peuples sans