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l’instruisirent éloquemment des dernières volontés du mort, eussent eu le pouvoir de lui faire lâcher un centime.

Ce drame, dont toutes les péripéties ont été d’une amertume excessive, Clotilde le retrouve au fond de son cœur, installé comme dans un antre, chaque fois qu’elle y veut descendre. Rien n’a pu tuer ce dragon, pas même les autres douleurs. Quelquefois, c’est à croire qu’il les dévore, tant il est vivant !

De temps en temps, son bienfaiteur passe dans ses rêves, tel qu’elle l’a vu la veille du crime. C’est toujours le même regard de compassion douloureuse, mais sans paroles, et le spectre s’évanouit aussitôt.

Tout ce qu’elle peut faire, c’est de prier pour l’âme en peine, mais, jusqu’à son dernier jour, elle s’accusera d’avoir causé la mort de cet homme qui l’avait sauvée du désespoir.

Et pourquoi cela ? mon Dieu ! pourquoi ? Parce qu’elle avait peur, tout simplement. Parce qu’elle était une lâche, une impardonnable lâche !

Elle se lève, jette son livre sur une table, regarde autour d’elle avec détresse. Elle aperçoit le grand vieux Christ en bois peint, relique du quatorzième siècle que lui a donnée son mari. C’est là seulement qu’elle sera bien. Elle met son front sur les pieds durs de cette image et dit en pleurant

— Seigneur Jésus, ayez pitié de moi ! Il est écrit dans votre Livre que vous avez eu peur en votre Agonie, lorsque