Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voile, viens donc chez moi. J’ai un bon feu et un bon lit… Et elle le mène coucher dans un charnier.

Ah ! vraiment, ce serait à dégoûter d’être immortel s’il n’y avait pas de surprises, même avant ce qu’on est convenu d’appeler la mort, et si la pâtée des chiens de cette duchesse, revomie par eux, ne devait pas être, un jour, l’unique espoir de ses entrailles éternellement affamées !

— Je suis ton père Abraham, ô Lazare, mon cher enfant mort, mon petit enfant que je berce dans mon Sein pour la Résurrection bienheureuse. Tu le vois, ce grand Chaos qui est entre nous et le cruel riche. C’est l’abîme, qu’on ne peut franchir, des malentendus, des illusions, des ignorances invincibles. Nul ne sait son propre nom, nul ne connaît sa propre figure. Tous les visages et tous les cœurs sont obnubilés, comme le front du parricide, sous l’impénétrable tissu des combinaisons de la Pénitence. On ignore pour qui on souffre et on ignore pourquoi on est dans les délices. L’impitoyable dont tu enviais les miettes et qui implore maintenant la goutte d’Eau du bout de ton doigt ne pouvait apercevoir son indigence que dans l’illumination des flammes de son tourment ; mais il a fallu que je te prisse des mains des Anges pour que ta richesse, à toi, te fût révélée dans le miroir éternel de cette face de feu. Les délices permanentes sur lesquelles avait compté ce maudit ne cesseront pas, en effet, et ta misère non plus n’aura pas de fin. Seulement, l’Ordre ayant été rétabli, vous avez changé de place. Car il y eut entre vous deux une affinité si cachée, si parfaitement inconnue, qu’il n’y avait que