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Le silence, à la fin, s’émeut et se plisse, comme une eau de plomb où s’éveilleraient des bêtes inconnues. Elle entend un bruit…

Oh ! mais si faible, si lointain, qu’on dirait d’un de ces pauvres trépassés qui n’ont presque pas la permission d’appeler à leur secours et que les vivants cruels n’écoutent jamais.

Le cœur de la pitoyable fille bat à gros coups contre les murailles de son sein, cloche sourde et muette dont le branle désespéré ne troublerait pas un atome…

Le bruit extérieur augmente. Un moment, on cogne, on vocifère, puis le silence retombe.

Or, il n’y a plus de ténèbres. Elles ont pris la fuite, comme un troupeau noir qu’une panique aurait dispersé. Clotilde voit une étendue morne et pâle, « une terre déserte, sans voie et sans eau », selon les paroles du Prophète, et le bon Gacougnol lui apparaît.

Il est mort, il a un couteau planté dans le cœur et sa poitrine est inondée de sang. Il ne marche pas, il glisse ainsi qu’une masse légère poussée par le vent. Il passe tout près d’elle, la regarde de ses yeux éteints, avec une compassion douloureuse, et lui dit :

— Vous êtes nue, ma pauvre fille ! prenez mon manteau.

Elle découvre, alors, qu’elle est entièrement nue. Mais le spectre, déjà, n’a plus de manteau à lui donner, plus de visage, plus de mains, et le geste qu’il voulut faire a suffi pour le dissiper.

Marchenoir surgit à son tour. Celui-là, du moins, paraît