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Ce vin, identique, d’après une infiniment plausible exégèse, à Celui qui devait être recueilli dans la coupe mystérieuse du Saint-Graal, fut conservé par les rabbins et transmis, de siècle en siècle, à tous les cohens ou sagans fétides qui le gardaient soucieusement au fond de leurs juiveries, comme un électuaire infaillible et inépuisable pour faire entrer le démon dans le corps des hommes qui en boiraient une seule goutte mélangée à n’importe quel breuvage.

Il est vraisemblable qu’on en offrit à Judas un vaste cratère et que la populace enragée qui hurlait à la mort du Christ, le Vendredi Saint, écuma pour avoir bu le terrible vin sophistiqué des figuratives Épousailles…

J’ose donc présumer que ce poison de la plus ténébreuse officine des enfers est toujours invariablement versé, chaque fois qu’il est expédient d’ameuter des hommes contre Dieu ou, si on le préfère, contre un Homme dont la scandaleuse Présence rend manifeste, une fois de plus, la hideur plus qu’effroyable d’un monde qui a cessé de ressembler à son Créateur. J’ai dit.

Il s’arrêta net, immobile autant qu’un vaisseau pris dans les glaces du pôle antarctique, les mains étendues nerveusement à deux centimètres au-dessus de la ficelle de son pauvre pantalon fatigué par les automnes, la bouche close désormais, comme s’il se fût agi de retenir un irrévélable secret, et la flamme bleue de ses yeux pâles dardée magnétiquement sur son interlocuteur.