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ne doivent pas être sans tablature dans le voisinage de monsieur Crozant. Je me demande si la circonstance de la musique n’est pas précisément ce qu’il y a de plus efficace pour aggraver leur tintouin. Ah ! on ne saura jamais ce que pensent les cochons !…

— Si on tient à se servir de ce mot, dit à son tour Marchenoir, je suppose qu’ils pensent exactement ce que penseraient les lions eux-mêmes. Il est prouvé que les bêtes sentent le Diable, toutes les bêtes, à ce point que les rats et jusqu’aux punaises délogent précipitamment d’une maison hantée. Je ne crois pas qu’il y ait d’exemple d’un démoniaque déchiré par les animaux féroces dans les lieux déserts où l’Esprit du Mal entraînait ces malheureux. Les pauvres lunatiques recommençaient à leur insu, la destinée de Caïn que le Seigneur, par une sollicitude mystérieuse, avait marqué d’un signe inconnu pour que sa carcasse fût épargnée. Les fauves, autant que la vermine, se retirent devant la face du Prince de ce monde. Je dis la face, parce que les bêtes, étant sans péché, n’ont pas, comme nous, perdu le don de voir ce qui parait invisible. À l’autre pôle de la mystique, l’histoire des Martyrs et des Solitaires est pleine d’exemples de carnassiers affamés qui refusaient de leur nuire et léchaient humblement leurs pieds. Miracle tant qu’on voudra. Moi, je ne peux voir là qu’une restitution naïve du Paradis terrestre qui n’existe plus, depuis six mille ans, que dans la rétine inquiète et douloureuse de ces inconscients. C’est là, sans doute, que Dieu sera forcé d’aller le reprendre, quand sonnera l’heure