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d’une arme quelconque de pirate ou de chevalier. C’était un perpétuel frémissant autour de qui la fureur semblait toujours voltiger.

Quand il entrait quelque part et disait : Bonjour, de sa voix claire, le plus amicalement du monde, en promenant autour de lui ses calmes yeux du bleu le plus pâle, on croyait presque entendre : « Que personne ne sorte » ou « Feu sur qui bouge », et lorsqu’il prenait un cocher qu’il avait l’instinct de choisir aussi patibulaire que possible, dans l’espoir toujours déçu d’une insolence à rémunérer, le pauvre diable tremblant croyait traîner dans son char toute l’autorité répressive des potentats. L’ambition de réduire en esclavage cette classe de citoyens était presque un trait de son caractère.

Aucun téméraire aliéné par la passion la plus déchaînée n’aurait pu se désintéresser plus complètement des conséquences de ses actes que ne le faisait, à l’état placide, cet énigmatique Léopold, avec un bonheur qui n’avait jamais été démenti.

On ne savait pas ce que cet homme avait dans le cœur.

Un jour, Gacougnol, au comble de la stupéfaction, avait vu passer, comme un projectile, une voiture emportée par deux chevaux enragés que sabrait à coups de manche de fouet un effervescent Automédon, debout au-devant du siège, pendant que son ami, commodément installé sur la banquette et aussi froid que l’ennui même, regardait fuir la multitude. Au risque d’écraser dix personnes, il avait fait passer dans le ventre du premier cocher venu tous les