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au milieu de ces temps lointains où on ne s’interrompait de souffrir que pour implorer. La scène que j’avais sous les yeux fut pour moi le type certain de cent mille scènes identiques réparties sur trente générations malheureuses dont l’étonnante misère est à peine mentionnée dans les histoires. Depuis Attila jusqu’aux incursions musulmanes et de la célèbre « fureur des Normands » à la rage anglaise qui dura Cent ans, je calculai que des millions d’infortunes s’étaient ainsi répandues partout devant les reliques sacrées des Martyrs ou des Confesseurs que l’on disait être les seuls amis de l’indigent et du lamentable.

Nous autres, la canaille, nous sommes les fils de cette patience merveilleuse et lorsque, après Luther et sa séquelle de raisonneurs, nous reniâmes les grands Seigneurs du Paradis qui avaient consolé nos pères, il était juste que nous fussions retranchés, comme des chiens, du banquet de poésie où furent conviées si longtemps les simples âmes. Car ces hommes d’oraison, ces ignorants, ces opprimés sans murmure que méprise notre suffisance d’idiots, portaient, dans leurs cœurs et dans leurs cerveaux, la Jérusalem céleste. Ils traduisaient, comme ils pouvaient, leurs extases, dans la pierre des cathédrales, dans les vitraux brûlants des chapelles, sur le vélin des livres d’heures et tout notre effort, quand nous avons un peu de génie, c’est de remonter à cette source lumineuse…

Marchenoir, qui est une espèce d’homme du Moyen Âge, vous dirait ces choses beaucoup mieux que moi, Clotilde. Il a les sentiments et les pensées du onzième siècle et je