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en esprit. Quelle inconcevable différence entre la veille et ce lendemain ! Oh ! la douceur d’avoir bien dormi, d’avoir chaud, de trouver autour de soi des objets propres, de ne plus sentir cet horrible voisinage, de ne plus commencer la sainte journée par un long sanglot silencieux !

Elle se baignait dans cette pensée, elle s’y plongeait comme dans une source lustrale capable de purifier jusqu’à sa mémoire. À peine sortie, — par quel miracle ! — de la forêt des soupirs où l’avait menée perdre son cruel destin, combien lui paraissait évidente cette vérité si élémentaire, si parfaitement ignorée du Riche, que le cœur des pauvres est un donjon noir qu’il faut emporter à l’arme blanche et qui ne peut être forcé que par une balistique d’argent !

Et cela ne signifie pas du tout que la pauvreté soit avilissante. Elle ne peut pas l’être, puisqu’elle fut le manteau de Jésus-Christ. Mais plus sûrement que n’importe quel supplice, elle a le pouvoir de faire sentir aux êtres humains la pesanteur de la chair et la servitude lamentable de l’esprit. C’est une atrocité de pharisiens d’exiger des esclaves le désintéressement spirituel qui n’est possible qu’aux affranchis.

Clotilde, certes ! aurait pu dire ce que l’argent d’un brave homme avait fait en elle, l’argent seul, hélas ! le mystérieux, exécrable et divin Argent qui avait transformé sa vie et son âme en un clin d’œil.

Un attendrissement presque amoureux lui naissait, déjà, pour ce peintre qui l’avait sauvée du dragon et dont les