Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.

meilleur dans l’esprit et dépensa plus d’éloquence que l’émancipation d’un peuple n’en réclame. Il étonna même Gacougnol en déployant une robuste gaîté connue seulement de ses plus intimes et que le peintre était loin de supposer à l’imprécateur.

— J’ai plusieurs mois de silence à récupérer, disait-il, plusieurs mois prêtés au labeur le plus improbe et je viens d’accoucher d’une œuvre prodigieusement inutile. Aujourd’hui, j’ai la fièvre puerpérale. Ceux qui me tombent sous la main doivent se résigner.

Cette soirée parut divine à Clotilde qui aurait bien voulu qu’elle durât indéfiniment pour ne s’achever que le jour où, devenue très vieille, elle aurait pu s’en aller sans amertume dans un cercueil trop étroit…

Mais il était déjà tard, il faisait nuit depuis longtemps et ce fut avec un sursaut de désespoir qu’elle se souvint qu’il fallait rentrer. Rentrer à Grenelle, dans cette horrible chambre où elle avait cru tant de fois mourir ! Il lui faudrait subir les questions venimeuses de sa mère, et, — à moins qu’il ne fut ivre-mort et vomissant, — les réflexions de ce bandit, plus salissantes que son ivresse… Sa toilette, il faudrait pourtant l’expliquer, et comment ces âmes ignobles, étroites comme le péché, pourraient-elles croire à son innocence ?

Et tout cela n’était rien encore. Il y avait ce lit, cet épouvantable lit, ce matelas de pourriture et d’horreur ! Est-ce qu’elle allait y coucher de nouveau, maintenant ? Ah ! non, par exemple. Ce matin, cela se pouvait, c’était tout simple, puisqu’elle était elle-même une ordure au fil de