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imbéciles qui sont, peut-être, le mode le plus dégoûtant de l’idolâtrie. Les animaux étaient pour lui les signes alphabétiques de l’Extase. Il lisait en eux, — comme les élus dont j’ai parlé, — la seule histoire qui l’intéressât, l’histoire sempiternelle de la Trinité qu’il me faisait épeler dans les caractères symboliques de la Nature… Mon ravissement fut inexprimable. À ses yeux, l’empire du monde perdu par le premier Désobéissant ne pouvait être reconquis que par la restitution plénière de tout l’ancien Ordre saccagé.

Les animaux, me disait-il, sont, dans nos mains, les otages de la Beauté céleste vaincue

Parole étrange dont je n’ai pas encore mesuré toute la profondeur ! Précisément, parce que les bêtes sont ce que l’homme a le plus méconnu et le plus opprimé, il pensait qu’un jour Dieu ferait par elles quelque chose d’inimaginable, quand serait venu le moment de manifester sa Gloire. C’est pourquoi sa tendresse pour ces créatures était accompagnée d’une sorte de révérence mystique assez difficile à caractériser par des mots. Il voyait en eux les détenteurs inconscients d’un Secret sublime que l’humanité aurait perdu sous les frondaisons de l’Éden et que leurs tristes yeux couverts de ténèbres ne peuvent plus divulguer depuis l’effrayante Prévarication…

Marchenoir ne disait plus rien. Accoudé sur la table et se pressant les tempes du bout des doigts, dans une de ses attitudes familières, il regardait vaguement devant lui ayant l’air de chercher au loin quelque grand oiseau de proie désespéré d’être sans capture, qui reflétât sa mélancolie.