Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour l’Amour de Dieu qui s’est promené sur cette montagne ! Tout ce qui peut colorer une infamie, croyez-vous que je ne me le sois pas dit à moi-même et que d’autres encore ne me l’aient pas dit, jusqu’au jour où il me fut donné de comprendre que j’étais un abominable ?… Cet homme que j’ai assassiné avait une femme et deux enfants. La femme est morte de chagrin, entendez-vous ? Moi, j’ai donné un million pour les orphelins. Si je n’ai pas tout donné, c’est que des raisons de famille s’y opposaient. Mais j’ai promis à la douce Vierge de vivre, jusqu’à ma dernière heure, à la façon d’un mendiant. J’espérais ainsi que la paix reviendrait en moi, comme si la vie d’un membre de Jésus-Christ pouvait être payée avec des écus ! C’est l’argent des princes des prêtres que j’ai donné à ces pauvres enfants, traités en petits Judas par le meurtrier de leur père. Ah ! bien oui, elle n’est jamais revenue, la paix divine, et je suis crucifié tous les jours !

Je vous dis cela, Monsieur, parce que vous avez eu de la pitié et que vous pourriez concevoir de l’estime. Je suis encore trop lâche pour raconter ma vie à tout le monde, ainsi que je le devrais peut-être et comme faisaient les grands pénitents du Moyen Âge. J’ai voulu me faire trappiste, puis chartreux. On. m’a déclaré partout que je n’avais pas la vocation. Alors je me suis marié pour souffrir tout mon soûl. J’ai pris une vieille prostituée de bas étage dont les matelots ne voulaient plus. Elle me roue de coups et m’abreuve de ridicule et d’ignominie… Je ne la laisse manquer de rien, mais j’ai mis en lieu sûr les