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Et regardant Clotilde :

— Je ne sais si le nom d’histoire convient exactement à ce que j’ose vous offrir. C’est plutôt un souvenir de voyage, une impression ancienne, demeurée très vive et très profonde, que je voudrais vous faire partager. Vous allez voir que c’est une suite à notre conversation sur les bêtes…

Vous avez certainement entendu parler de la Salette, du pèlerinage de Notre-Dame de la Salette ! Vous n’ignorez pas qu’il y a bientôt un demi-siècle la Vierge Marie est apparue sur cette montagne à deux enfants pauvres. Naturellement, on a tout fait pour déshonorer par le ridicule ou la calomnie cet événement prodigieux. Ce n’est pas le moment de vous développer les raisons d’ordre supérieur qui me forcent à l’envisager comme la plus accablante manifestation divine depuis la Transfiguration du Seigneur — que Raphaël, avec son imaginative de décorateur profane, a si peu comprise… Ceci est pour vous, Pélopidas.

— J’entends bien, dit l’autre. Mais je ne suis pas un fanatique de Raphaël. J’admire en lui tout ce qu’on voudra, excepté l’artiste religieux. Sa seule Vierge tolérable est celle de Dresde, et encore, c’est une rosière. Quant à sa Transfiguration, voici mon très humble postulat. Depuis trois cent cinquante ans qu’elle existe, un seul homme a-t-il jamais pu prier devant cette image ? À l’aspect de ces trois gymnastes en peignoir qui s’enlèvent symétriquement sur le tremplin des nuées, je déclare qu’il me serait