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jour expirant. La campagne, au loin, était pleine d’embûches et de menaces et nous allions, silencieux et sombres, à travers un morne bois dépouillé, autour duquel fumait encore la plaine tragique, saoûle, ce soir là, du sang de la France. Une tristesse pesante et noire, — comme un pressentiment de mort exhalé de la bouche ouverte des morts, — s’étendait sur nous et nous enveloppait invinciblement. Moments redoutables ! heures paniques de la Guerre où les plus fiers courages se détendent et s’affaissent, après le tumulte et les orageuses agitations de la colère dans une sourde et latente pensée de terreur !!! Tout-à-coup, — la nuit ayant achevé de dérouler sur nos têtes son plus sombre manteau, — un cri, un seul cri, plus effrayant que tous les spectres qui eussent pu nous apparaître, — le cri d’une Douleur suprême accouchant d’une Mort désespérée ! — se fit entendre à côté de nous, dans ces ténèbres palpables que nos yeux démesurément ouverts n’avaient plus la force de pénétrer : Et Tout ceci est superbe, mais si vous vous arrêtiez après ce mot, se retourna !... qui fait si bien, même à l’oreille, est-ce que ce ne serait pas plus beau & ne ferait pas plus froid ? l’effet de cette clameur solitaire fut si terrible et si soudain que notre colonne toute entière en reçut instantanément la commotion et se retourna !... comme si la Mort elle-même avait passé là et comme s’il avait fallu que nous escortassions jusqu’au fond des enfers, cette Reine des Épouvantements !! — Aujourd’hui, je me souviens des terreurs de cette nuit épouvantable et ce cri, cet inoubliable cri, d’une angoisse presque surnaturelle, je l’entends encore ! Il est en moi désormais, comme la réalité extérieure et sensible des rêves les plus poignants de la Douleur, mais aussi, comme une expression accomplie des pensées et des sentiments les plus hauts, quand ils atteignent à une exceptionnelle intensité et qu’il n’y a plus de paroles terrestres pour les formuler. Les orages intérieurs de l’âme humaine, — qui donc,