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miteux de cet adorant, autour de qui je crus voir flotter un très vague effluve…



Quand il eut fini, il vint à moi et, se découvrant :

— Monsieur, dit-il, je serais heureux de vous entretenir un moment. Voulez-vous me faire l’honneur de m’accompagner quelques pas ?

Nous allâmes nous asseoir derrière l’église, au bord du plateau, en face de l’Obiou, dont le soleil, encore invisible sous les vapeurs, éclaboussait, en ce moment, la cime neigeuse.

— Vous m’avez fait beaucoup de peine hier soir, commença-t-il. Je n’ai pu vous arrêter, malheureusement, et j’en suis très affligé. Vous ne me connaissez pas. Je ne suis pas un individu à défendre. Autrefois, quand je ne me connaissais pas encore moi-même, je me défendais tout seul. J’étais un héros. J’ai tué un ami en duel pour une plaisanterie.

Oui, monsieur, j’ai tué un être formé à la ressemblance de Dieu, qui ne m’avait pas même offensé. On appelle ça une affaire d’honneur ! Je l’ai frappé en pleine poitrine, et il est mort en me regardant, sans dire un mot… Ce regard ne m’a pas quitté depuis vingt-cinq ans, et, au moment où je vous parle, il est là-haut, juste devant moi, sur cette vieille colonne du firmament…