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cueillir un nénuphar qui flottait à quelques pas, et, comme j’essayais d’obéir à cet homme impitoyable, je sentis avec terreur que j’enfonçais dans la boue. Lorsque, blasphémant, il me retira, j’en avais jusqu’aux épaules, et je suis persuadé que, sans la présence d’un témoin attiré par mes cris de désespoir, j’y serais resté, tant sa face était diabolique !



Tel a été le vestibule de mon existence. Je suppose que vous en avez assez de ce début. Je passe donc les misérables années qui suivirent. Années d’internat dans un collège où mon père me calfeutra pendant l’espace de deux lustres.

Vous me croirez si vous le pouvez. Jusqu’à dix-huit ans je ne sortis pas un seul jour de cette prison.

À ceux dont l’enfance eut quelques joies, il serait évidemment inutile de chercher à faire comprendre ce que durent être les effets d’une si longue et si féroce incarcération. Il paraît que la loi civile permet cela. C’est la paternité antique, si je ne me trompe.

J’étais assez robuste, heureusement ou malheureusement, pour n’en pas mourir. Seulement, j’ignore ce que devint mon âme dans ce pourrissoir. Dix ans de contact avec des élèves et des professeurs putréfieraient un cheval de bronze, vous le savez. Quel-