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L’enlumineur n’avait pensé qu’à manger. Pendant dix ans on ne l’avait vu occupé, pour ainsi dire, qu’à chercher de la nourriture. Il aurait fallu vider les caisses publiques pour obtenir son rassasiement et tous les troupeaux de la Mésopotamie n’aurait pu combler la voracité de ce défunt.

Mais enfin, grâce à Dieu ! c’était fini. Le cyclone de cette fringale s’était dissipé. Les autres humains, à leur tour, allaient être admis à fonctionner de la mandibule inférieure, et la société française, délivrée d’un si grand péril, pourrait tranquillement se remettre à table.

Les révélations affluèrent. — Je l’ai nourri pendant deux ans, disait l’un. — Il venait sans cesse dîner chez moi, criait l’autre. — Je n’ai pu le voir une seule fois sans qu’il se plaignît de crever de faim, vociférait un troisième.

On découvrit avec stupeur que ce Vénard avait été gavé par tout le monde, sans exception, Plus de cinq cents personnes, peut-être, avaient été occupées exclusivement à l’emplir du matin au soir, et s’il était mort de langueur, comme l’affirmait si étrangement le chef de service de l’hôpital, c’est qu’alors il n’y avait jamais eu rien à faire et qu’il eût été beaucoup plus sage d’y renoncer, etc.

— Tranchons le mot, écrivait un de nos plus adipeux critiques, c’est décourageant, c’est profondément inéquitable. On a droit au moins à la graisse