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opposer les grossières tribulations des indigents dont c’est le devoir de souffrir, après tout, comme si les guenilles et le manque de nourriture pouvaient être mis en balance avec l’angoisse de mourir. Car telle est la loi. On ne meurt véritablement qu’à la condition de posséder. Il est indispensable d’avoir des capitaux pour rendre l’âme, et voilà ce qu’on ne veut pas comprendre. La Mort n’est que la séparation d’avec l’Argent. Ceux qui n’en ont pas n’ont pas la vie, et, dès lors, ne sauraient mourir.

Plein de ces pensées, — plus profondes qu’il ne supposait, — le blanchisseur de cercueils travaillait de toute son âme à l’abolition des affres.

Il eut l’honneur d’être un des premiers qui fomentèrent la généreuse conception du Crématoire. L’horreur traditionnelle de la mort, d’après ce penseur, était surtout procurée par l’image affreuse de la décomposition. Dans les comices d’incinérateurs qui l’avaient élu pour leur président, il en racontait les phases, déroulant, avec l’éloquence du trac, toute cette chimie souterraine, et la pensée de devenir fleur, par exemple, révoltait son imagination de comptable.

— Je ne veux pas être une charogne ! beuglait-il. Aussitôt après ma mort, j’exige qu’on me brûle, qu’on me calcine, qu’on me réduise en cendres, car le feu purifie tout, etc.

Il fut exaucé pleinement, ainsi que vous l’allez voir.