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prévu l’accable ou seulement le déconcerte. C’est une manière de prendre position vis-à-vis de Dieu et d’interpeller la Providence avec supériorité. Il y a bien peu d’adolescents qui n’aient été impressionnés entre 16 et 18 ans, quelquefois jusqu’à l’éblouissement, par l’espèce de connaissance infuse que le Bourgeois paraît avoir de ce qui lui convient et de ce qu’il lui faut. On ne connaît pas d’animaux, même parmi les solipèdes, qui soient servis par un instinct aussi sûr. Mais où se manifeste prodigieusement son flair, c’est lorsqu’il s’agit des choses dont il n’a pas besoin et qui, par conséquent, lui pourraient être fâcheuses. En voici un exemple remarquable.

Il y a vingt ou vingt-cinq ans, j’étais, à dix heures du soir, dans un café aux environs de l’ancienne gare Saint-Lazare, en compagnie de deux camarades sympathiques dont l’un est aujourd’hui à l’Académie et l’autre au bagne. On avait, si j’ai bonne mémoire, passablement bu et on pensait déjà aux moyens de s’achever dans quelque autre établissement, lorsque, la porte s’étant ouverte avec fracas, nous vîmes entrer, furieux et mugissant, le marbrier national du Petit-Montrouge, le célèbre Joséphin Dodécaton, inventeur des tombeaux inusables…

Ce grand homme avait perdu tout empire sur lui-même et nous parut, pour tout dire, au dernier degré de la rage. — Je n’avais pas besoin de ça, disait-il sans cesse, en grognant comme un pachy-