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exégèse des lieux communs


Je crois l’avoir beaucoup dit ailleurs, la pauvreté est l’unique vice, le seul péché, l’exclusive noirceur, l’irrémissible et très singulière prévarication. C’est bien ainsi que vous l’entendez, n’est-ce pas, précieuses Crapules qui jugez le monde ?

Qu’on le proclame donc une bonne fois, la pauvreté est si infâme que c’est le dernier excès du cynisme ou le cri suprême d’une conscience au désespoir d’en faire l’aveu, et qu’il n’y a pas de châtiment qui l’expie.

Le devoir de l’homme est tellement d’être riche que la présence d’un seul pauvre clame vers le ciel, comme l’abomination de Sodome, et dépouille Dieu lui-même, le forçant à s’incarner et à se promener scandaleusement sur la terre, vêtu seulement de la guenille de ses Prophéties.

L’indigence est une impiété, un blasphème atroce dont il n’est pas possible d’exprimer l’horreur et qui fait reculer du même coup les étoiles et le dictionnaire.

Ah ! que l’Évangile est mal compris ! Quand on lit qu’ « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », faut-il être aveugle pour ne pas voir que cette parole n’exclut, en réalité, que le chameau, puisque tous les riches, sans exception, sont certainement assis sur des chaises d’or dans le Paradis et que, par conséquent, il leur est tout à fait impossible, en effet, d’entrer dans un endroit