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ce grand artiste désolé. Combien désolé ! Elle n’aurait pu le dire. Elle savait seulement qu’il y avait là un gouffre et, dans sa propre détresse qui était effroyable, elle n’osait pas penser à cette détresse.

Il y avait aussi les enfants, aperçus par une fenêtre, à la dernière minute, aperçus seulement, hélas ! elle-même sentant bien que son départ eût été impossible si elle avait entrepris de les embrasser. Pauvres petits ! leur souvenir était comme des griffes autour de son cœur !

Aussitôt arrivée, on l’avait laissée sur cette chaise au milieu de ce vestibule, sans aucun secours, sans moyen de reposer sa tête douloureuse. Elle avait cru trouver quelqu’un pour la recevoir, un lit pour s’étendre, et sa présence ne paraissait pas même remarquée. Elle aurait donné la moitié des jours qui pouvaient lui rester à vivre pour un verre d’eau fraîche et l’autre moitié pour appuyer sa tête contre un mur.

Au bout d’une heure environ, la surveillante ayant achevé probablement de torturer des impotentes ou des agitées dans une autre salle, daigna enfin s’occuper d’elle. En attendant de la mettre au lit, on la fit asseoir à une longue table où quelques gâteuses étaient installées devant des bols. Ayant essayé de boire quelques gorgées du bouillon de crocodile de l’Assistance, une odeur circulante et chaude l’arrêta soudain. Elle vit alors, avec épouvante, que ses compagnes étaient encastrées dans