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Le résultat de cette expérience est identique à la damnation des anges superbes. Ces captives réduites à se dévorer elles-mêmes, finissent par se trouver du ragoût et leur apparente sérénité mondaine est le masque sans coutures de leurs solitaires délices. Dissimulation si profonde qu’elle n’a plus même en vue l’estime sociale, mais simplement le déblai des mammifères ambiants et la volonté fort précise de n’être jugée par personne !

D’ailleurs, il ne s’agit plus du tout, à l’heure qu’il est, pour un être puissamment organisé, mais nauséabond, de paraître un fervent chrétien. C’est une remarque étrange, mais certaine, qu’une pire hypocrisie est rigoureusement intimée par un moindre Dieu. Or le Dieu du Calvaire et des Sacrements est depuis longtemps au rancart, c’est bien entendu, et le Narcisse qui est au fond de tout cœur humain l’a très-plausiblement remplacé. Chaque moderne porte en soi une petite Église infaillible dont il est le Christ et le Pontife et la grosse affaire est d’y attirer le plus grand nombre possible de paroissiens. Mais, comme il est de l’essence de toute foi de tendre à l’œcuménicité, la momerie se dilate naturellement en raison inverse de l’exiguïté du tabernacle. On voit alors cette merveille d’une âme publique se badigeonnant de vertu pour s’absoudre et se communier elle-même et mériter, par ce moyen, le Paradis de ses propres complaisances.