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Alors, on lui décernera l’effrayant honneur d’avoir ensemencé le genre humain d’une prévarication nouvelle, qu’on a bien pu connaître longtemps avant lui, mais qui n’avait pas authentiquement le droit d’exister.

Ce n’est pas d’hier qu’on abuse de la parole ou de l’écriture pour l’extermination de la pensée. On avait vu même, déjà, de lamentables intelligences prostituées à l’adoration des vocables. Mais cela se passait dans les solitudes et dans les ténèbres, parce que l’Âme humaine, quoique en agonie, exigeait encore qu’on la respectât.

Maintenant, c’est une École et même une Académie. L’Académie des Goncourt ! Satan tient enfin ce qu’il a mendié dix-neuf siècles : une sortable contrefaçon du Verbe incarné que pût adorer en conscience et propager de gaîté de cœur, l’adolescente oligarchie de nos mandarins !…

Ce serait drôle, pourtant, n’est-il pas vrai ? qu’une après-midi de dominicale séance, le vrai Béelzébub fît son entrée dans le palais de ces moucherons et d’une voix qui supposerait la magistrature des abîmes, leur notifiât, approximativement, la phrase tragique et suprême de Victor Hugo, vociférée depuis cinquante ans par les cabotins du monde entier :

Messieurs, vous êtes tous des possédés !


15 janvier 1891.