Page:Block - Dictionnaire général de la politique, tome 2.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

cennale qui suivit la loi de 1850, le second Empire, préoccupé des besoins nouveaux, s’est efforcé d’y pourvoir. Mais il s’agit d’une tâche immense, d’une entreprise difficile, soit à raison des grands sacrifices pécuniaires qu’elle comporte, soit à cause des liens nombreux qui rattachent de toutes parts l’instruction publique à l’administration~ à la politique, aux rapports de l’État avec l’Eglise. C’est un monde à remuer. Plaise à Dieu qu’il reçoive bientôt l’impulsion 1 Faire pénétrer la civilisation dans les masses, chasser les ténèbres de l’ignorance par la lumière de l’enseignement, c’est l’oeuvre que Charlemagne avait commencée au milieu de la barbarie du neuvième siècle et que nous n’avons pas encore achevée.

Un regard jeté sur l’état présent des choses permettra de mesurer la distance qui nous sépare encore du but à atteindre, c’est-à-dire du jour où chaque enfant, instruit dans une belle école par un maitre capable, honoré et bien rétribué, la fréquentera régulièrement pour y recevoir, de manière à les conserver toute sa vie, les notions élémentaires indispensables à l’homme, ne f&t-il ni citoyen ni électeur. Pour plus d’un motif et à divers points de vue, l’instruction primaire est en souffrance dans notre pays bien que dans beaucoup de départements les efforts du gouvernement, des conseils généraux et des municipalités aient été largement récompensés par les résultats obtenus, elle languit en quelque sorte au milieu du progrès général. Les populations des campagnes sont plongées, il faut i3 dire, dans une profonde ignorance. Tandis que Paris ressemble à un soleil dont les rayons vont briller au delà de nos frontières, d’épaisses ténèbres, aux portes de la splendide capitale, couvrent encore nos villages. Un Français sur trois ne sait pas lire ! La statistique constate, en effet, que le tiers des hommes et plus de la moitié des femmes ne savent pas signer leur nom, et il ne S’agit pas ici, qu’on le remarque bien, des générations nées ou élevées sous la Restauration, mais des jeunes gens de vingt et un ans, de ceux qui avaient 1 âge d’école en 1850, lorsqu’a été conçue et votée par l’Assemblée législative la fameuse loi du 15 mars ! Quant aux personnes plus âgées, nous pouvons affirmer, d’après des documents certains, que le nombre des illettrés est tantôt des trois quarts, comme dans le Cher et ie Gard, tantôt de cinq sixièmes, comme dans Indre-et-Loire, et s’élève parfois jusqu’aux neuf dixièmes, dans la Loire-Inférieure et les Cotes-du-Nord, par exemple. Ici, dans une commune de l’Indre, on ne trouve que deux personnes sur cent sachant lire, écrire et chiffrer passablement ; là, dans Seine-et-Marne, pays de grande culture, il n’y a guère qu’un travaileur sur dix qui puisse écrire son nom. Sur les 1,200 habitants d’une commune de la Charente-Inférieure, six mettent l’orthographe, mais q ?e seulement savent rédigerune lettre. Dan .e~ commune rurale de la Vienne qui com~-2,000 habitants, nul ne sait lire, excepté que~s famiHes riches qui possèdent le sol. Presque personne ne sait pitis signer son nom dans les campagnes, » dit un instituteur de Saone-et-Loire’.

Partout encore, beaucoup de paysans obstinés répètent qu’ils ont bien vécu et bien labouré sans savoir lire ni écrire, et que leurs enfants feront d ? même. Les préjugés, les coutumes funestes, les habitudes contraires à l’hygiène, cette malpropreté rebutante, qui met si souvent obstacle aux relations entre riches et pauvres, le caractère cynique ou ridicule du langage, l’usage persistant des patois locaux qui varient d’un arrondissement à l’autre, enfin l’emploi des anciennes mesures se perpétuent ainsi de génération en génération. N’ayant aucune notion des lois qui nous régissent, le paysan, poursuivi par l’odieux souvenir des priviléges, des dtmes et de la corvée, ne voit assez souvent dans l’impôt qu’un injuste prélèvement sur le produit de son travail au

profit de ceux qui gouvernent. Différent, à cet égard, de l’Allemand et de l’Anglais, il ne lit pas, et c’est au cabaret, rendez-vous des esprits forts et des savants de village, qu’il va chercher à la fois des idées et des distractions. Il écrit encore moins qu’il ne lit, et le cultivateu" forcé de répondre à une lettre, la pauvre mèi dont le fils est sous les drapeaux, sont obligés d’emprunter une main étrangère et de confier aux oreilles d’un tiers l’un le secret de ses affaires, l’autre celui de son cœur. Beaucoup de villageoises ne savent ni coudre, ni tricoter, ni entretenir le linge et les vêtements, ni soigner le ménage et les enfants. L’agriculture, livrée à la routine la plus aveugle, ne donne pas au cultivateur tout ce que la terre pourrait produire. Dans les communes isolées où l’instruction n’a pas pénétré, les habitants sont quelquefois livrés à un véritable abrutissement < On dirait, dit un instituteur des BassesAlpes, qu’ils n’ont reçu de la nature que l’instinct qui guide l’animal dans ses travaux. En effet, si l’araignée du dix-neuvième siècle tisse sa toile comme celle du quinzième, ils cultivent, sèment et récoltent comme leurs ancêtTes d’il y a trois cents ans ; ils ne sont encore qu’à demi civilisés. Cette ignorance, source de misères sans nombre, qui les livre souvent à l’exploitation du plus fort ou du plus adroit, aux ruses du maquignon, aux sortilèges du sorcier qu’ils voudraient pendre, aux chicanes de l’avocat de village, aux perfidies de l’usurier et du petit marchand et à toutes les superstitions intéressées, leur a-t-elle au moins conservé par une sorte de compensation la foi naïve, l’innocence, la simplicité qui font partie de ce qu’on est convenu d’appeler/M<Mc :M :MM MtBMr~ ? Nullement. Des témoignages concordants et nombreux montrent de tous côtés tantôt l’affaiblissement de l’antorité paternelle, tantôt la perte du sentiment religieux remplacé, en dépit du maintien des formes extérieures, par un égoïsme implacable, par la passion du 1. L’Mtenr s’appuie sur une sorte d’enquête, d’ailienrsd’nn haut intérêt, faite en 1861 et dont on trouvera le titre on peu plus loin dans une note. Nous croyons que les instituteurs ont nn peu chargé les couleurs t nous sommes en tout cas convaincu que la situation t’ett sensiblement améliorée. tt- B.