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les corporations d’arts et métiers et les castes, et dans l’ordre spirituel la domination de l’Église. Mais à un moment donné, la part de la société devient trop grande, les institutions qui étaient destinées à la protéger s’en séparent et se constituent en individualités qui dégagent un égoïsme collectif, et la réaction devenant aussi nécessaire qu’inévitable, c’est la part de l’individu qui s’agrandit. Cette réaction semble maintenant avoir perdu de sa force ; nous ne sommes plus passionnés, il sera donc possible d’examiner froidement la question. Mens MHa in corpore M~o. De même, la société est saine quand l’individu n’est pas corrompu. Et l’homme, comme l’eau, se corrompt par la stagnation. Cest le mouvement, le progrès, qu’il faut an corps comme à l’esprit. L’homme dont les facultés n’ont pas été comprimées par l’éducation domestique ou par les influences sociales et politiques, est naturellement progressif une invincible curiosité le pousse à connaitre, une insatiable avidité l’excite à s’approprier le plus de choses possible. Quand nous construisons nos châteaux en Espagne, ne commençons-nous pas nos rêves pardes souhaits très-modestes, et ne les voyonsnous pas grandir sous la main jusqu’à franchir la limite du merveilleux ?

Tel est l’homme ! Et nous devons nous en féliciter. Sans ce stimulant, comment notre volonté vaincrait-elle la force d’inertie qui caractérise la partie purement matérielle de notre être, l’argile dont nous sommes faits, comment vaincrions-nous ?a peine que nous cause le travail ? Or, sans travail, point de progrès. U s’ensuit que l’individu, pour prospérer, a besoin de la plus grande liberté possible de travailler, matériellement et intellectuellement. Il ne nous serait pas difficile de déduire de cette proposition la nécessité de jouir de toutes les libertés politiques, religieuses, civiles et antres, que l’époque actuelle revendique avec tant d’énergie. Mais ces développements nous forceraient à répéter ce qui est déjà dit ailleurs.

La société doit donc gêner le moins possible l’individu, et ne lui demander que les sacrifices indispensables. Au fond, c’est encore dans l’intérêt de la société. En restreignant les penchants de nuire à autrui, de s’approprier le fruit de son travail, elle protège le faible, sans s que le fort ait réellement à se plaindre. Elle lui apprend à tourner ses efforts du côté où l’humanité en tirera un profit, contre ses mauvaises passions, ou contre les forces brutales de la nature. Le domaine social par excellence, c’est la culture morale et intellectuelle de l’homme. C’est à elle que nous devons le développement de nos sentiments affectueux, ainsi que tontes nos découvertes scientifiques. Sans société point de morale, et sans morale ce serait l’homme qui serait le plus acharné et le plus formidable ennemi de l’homme. De ces propositions on sera peut-être porté à induire que la société devrait primer l’individu autant que l’esprit domine le corps. Nous admettrons volontiers cette formule, prêcisément parce qu’elle est vague. Dans ces matières il est impossible d’être très-précis. Seulement, nous devons nous mettre en garde contre l’abus qu’on pourrait en faire pour opprimer l’individu. On ne doit pas oublier qne l’individu est la matière première de la société, et que tout ce qui nuit à l’un, nuit à l’autre. De même, la pensée est certes infiniment plus précieuse que le cerveau dans lequel elle s’élabore, on ne sait comment ; mais gardez-vous de toucher au cerveau, si vous tenez à la pensée.

Lorsque les tendances individualistes et les tendances sociales de l’homme sont abandonnées à elles-mêmes, ce sont souvent les premières qui l’emportent. Nous avons déjà dit que l’égoisme est généralement plus fort que les sentiments affectueux. Il fallait une institution qui vînt en aide à la société, cette institution c’est l’État. En fait, beaucoup d’États se sont formés par des moyens que la morale réprouve, mais le temps pnrine presque autant que le feu, et en somme, l’État est devenu le cadre de la société, et, dans une certaine mesure, le corps dans lequel elle s’est incarnée.

L’État n’a pas tardé à se constituer le bras de la société. S’il s’était borné à remplir cette tâche, tout aurait été pour le mieux. Mais plus encore que la société s’est incarnée dans l’Etat, celui-ci s’est incarné dans des hommes, et ces hommes n’ont pas toujours été, quoi qu’on dise, l’élite de notre espèce. Dans tous les cas, sinon leur intérêt personnel, du moins leurs vues, leurs opinions, influent plus ou moins sur leurs actes publics, et comme ils possèdent le pouvoir, ils circonscrivent le domaine de l’individu, d’abord pour le plus grand bien de la société, pnis pour celui de l’État, et enun, pour son propre bien il en est qui auraient volontiers fait de l’homme un automate. Ne l’a-t-on pas forcé de croire ce que croyait l’autorité, de travailler suivant les méthodes qu’elle prescrivait, de se vêtir et de se nourrir selon ses règlements, de se coucher à l’heure du couvre-feu et de ne pas faire un pas sans les lisières officielles

C’est contre ces prétentions exagérées que nous réagissons. Donnons à la société et à l’Etat ce qui leur appartient, mais mahtcoons les droits de l’individu. Pour lasociéteet t :tat nous sommes prêts à faire tous les sacrifices possibles nous viderons nos bourses, nous verserons notre sang, nous comprimerons os passions mais de grâce, laissez-nous user et abuser de notre individualité. Nous désirent nous appartenir à nous-mêmes protégcz-noHS contre les autres, c’est à chacun de nous qu’il incombe de se protéger contre soi-méme. Ke sommes-nous pas des êtres responsables ? Nous n’insisterons pas davantage nous nous bornerons à formuler notre manière de voir autant qu’il est possible de le faire en peu de mots.

Tout ce qui est du domaine exclusif de l’intérêt individuel, doit rester complétement libre.