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de celui d’Angleterre et composé exclusivement de protestants. Toute industrie manufacturière fut paralysée par des combinaisons douanières qui favorisèrent en même temps la production des matières nécessaires aux manufacturiers anglais. La loi prohiba tout commerce direct, soit avec les colonies, soit avec les pays étrangers, et réserva la navigation à l’Angleterre. La population irlandaise eut ainsi pour lot la culture du sol sous la dépendance des nouveaux propriétaires, on la mendicité.

Ce régime a rénssi dans des pays lointains, où l’on voit par une loi ;fatale les indigènes disparaître au contact de la race européenne en Irlande il devait échouer. Les enfants du sol puisaient dans leur caractère, leurs mœurs et leur croyance, une force de résistance égale à l’oppression qui pesait sur eux. L’intérêt n’avait aucune prise sur ces déshérités ; fort arriérés en civilisation, ignorants, induférents au progrès et au bien-être, ils portaient légèrement leur misère et multipliaient beaucoup sans souci des conséquences. C’étaient de vrais Celtes, impressionnables an suprême degré, pleins de saillies, toujours prêts à payer de leur personne. Leur turbulence et leurs bravades contrastaient singulièrement avec le flegme et la raideur des nouveaux habitants mais la principale cause de discorde était la différence de religion. Aussi profondément attachés à la foi de leurs pères qu’à leur patrie, les indigènes n’avaient que leurs prêtres pour guides et pour consolateurs, et les persécutions resserraient encore les liens d’affection entre les pasteurs et leurs troupeaux. Les Anglais, en faisant de la religion réformée l’instrument de l’exclusion politique et le symbole d’un gouvernement odieux, rendaient l’Église anglicane incapable d’accomplir son oeuvre de prosélytisme de manière à désarmer les haines d’une nation opprimée. Tandis que le presbytérianisme s’implantait fortement dans la colonie du nord, l’Église anglicane établie câ et là dans le reste de l’ile, au milieu d’une masse essentiellement catholique, était incapable de lutter contre l’énergie infatigable des prêtres de la communion nationale. La majorité et la minorité de la population se trouvaient donc séparées par nn ablme qui n’a pas cessé d’exister. On trouvera relatés dans les articles Émancipation politique et Grande-Bretagne, Culte, les soulèvements des Irlandais toutes les fois que les Stuarts les appelèrent à leur aide, la défaite du parti national à la Boyne, les promesses de tolérance que fit sagement le roi Guillaume, le refus du Parlement britannique, son fanatisme aveugle et les lois atroces auxquelles furent soumis les vaincus. C’était jurer l’extermination d’une race abhorrée elle survécut néanmoins, toujours aussi indomptable dans sa misère.

Le philosophe Berkeley, qui était éveque protestant de Cloyne au milieu du dix-huitième siècle, a fait un tableau navrant de la situation de l’Irlande à cette époque. Dans un pays, disait-il, qui pouvait fournir abondamment toutes les nécessités de la vie, on ne voyait que routes désertes, champs en friche, maisons en ruines ou inoccupées. Devant chaque cabane de paysan, un tas d’enfants sur un tas de fumier ; au dedans, la misère et la malpropreté. On rencontrait à chaque instant des caravanes de familles entières allant à l’aventure, sans vêtements pour se couvrir ni pain pour se nourrir. Et cependant tel était l’esprit du temps que Berkeley, tout en gémissant de cette désolation, tout en sollicitant l’intervention des prêtres catholiques, regardait les lois d’oppression comme un ensemble de mesures fondées sur la justice et qu’il n’y avait aucune raison de changer.

Une jacquerie éclata en 1760. Des bandes de paysans liés entre eux par serment, détruisaient les clôtures, pillaient les produits du sol, levaient des contributions sur les fermiers, enlevaient des filles, exerçaient des voies de fait et des cruautés sur ies propriétaires et les agents dont ils avaient à se plaindre. La connivence ou la crainte rendaient la répression difficile, et les rigueurs exercées contre les coupables qu’on parvenait à saisir n’empêchaient pas les mêmes désordres de se renouveler de temps à autre. Larévolution française vint encore aggraverla situation par le contrecoup qui se fit sentir en Irlande. Une ligue se forma pour l’affranchissement du pays deux fois la France tentavainement de seconder ces efforts qui, tout en échouant, causèrent à l’Angleterre une alarme assez vive pour lui arracher enfin des adoucissements à son système d’oppression.

Les catholiques recouvrèrent plusieurs des droits civils dont ils avaient été privés le fils ne fut plus autorisé comme auparavant à dépouiller son père de ses biens en se faisant protestant. Les grades dans l’armée furent ouverts aux catholiques jusqu’à celui de coloneL Une loi décréta l’union de l’Irlande à la GrandeBretagne. Mais qu’importait aux Irlandais qu’un Parlement composé exclusivement de protestants allât siéger à Londres au lieu de siéger à Dublin ? Et les autres concessions si tardives étaient-elles faites pour toucher leurs cœurs ulcérés ? Pitt leur avait promis l’émancipation po !itique et GeorgeIH refusa opiniâtrement d’y consentir. La guerre sociale continua. Les vols, les pillages, les tortures et les assassinats désolèrent le pays. En 1822, les crimes atteignaient un nombre enroyable ; les juges ne pouvaient aller d’assises en assises qu’avec des escortes de cavalerie. En même temps se formaitune association politique devantlaquelle le fanatisme et l’orgueil des torys furent contraints de céder ; en 1829, les catholiques entrèrent dans le Parlement .britannique, O’Connell à leur tête.

Dans l’idée des Anglais l’émancipation devait effacer tous les torts qu’ils avaient pu avoir, les décharger de toute responsabilité, et mériter la bienveillance, même la gratitude des Irlandais. Mais en politique, a-t-on dit, l’injustice est dangereuse pour elle-même après l’avoir semée si longtemps, l’Angleterre devait