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CONFLIT, 186-188

Quant aux conflits négatifs, l’arrêté de 1848 ne s’en est pas occupé ; ils seraient vidés, le cas échéant, d’après les règles qui les concernent en France.

Sect. 2. Du conflit dans les colonies.

186. La législation relative aux conflits qui naissent dans les colonies diffère sensiblement de celle qui régit cette matière en France et en Algérie. L’ordonnance royale du 21 août 1825, portant organisation du gouvernement de l’île Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion) et de ses dépendances, contient, dans son art. 160, une disposition ainsi conçue :

Le Conseil privé connaît, comme Conseil du contentieux administratif[1] : § 1er, des conflits positifs ou négatifs élevés par les chefs d’administration, chacun en ce qui le conerne, et du renvoi devant l’autorité compétente, lorsque l’affaire n’est pas de nature à être portée devant le Conseil privé ; § 2, etc… »

Et l’art. 161 ajoute :

« Les parties peuvent se pourvoir devant le Conseil d’État, par la voie du contentieux, contre les décisions rendues par le Conseil privé sur les matières énoncées en l’article précédent. Ce recours n’a d’effet suspensif que dans les cas de conflit. »

Ainsi cette ordonnance considère le conflit, même positif, comme une affaire contentieuse ordinaire car elle ne confie pas le droit et le soin de l’élever à un fonctionnaire unique agissant en vue de l’ordre et du maintien des compétences ; elle confie cette attribution à chaque chef d’administration, dans le cercle et dans l’intérêt de son propre service ; elle remet la décision en premier ressort au juge ordinaire du contentieux dans les colonies, et si le Conseil d État est appelé à en connaître, c’est seulement sur le recours, soit de l’administration, soit des parties elles-mêmes[2].

Ce système a été appliqué à la plupart des autres colonies, notamment 1o à la Martinique et à la Guadeloupe, par les art. 176 et 177 de l’ordonnance du 9 février 1827 ; 2° à la Guyane française, par les art. 165 et 166 de l’ordonnance du 27 août 1828 ; 3° aux établissements français de l’Inde, par les art. 108 et 109 de l’ordonnance du 23 juillet 1840 ; 4° au Sénégal, par les art. 113 et 114 de l’ordonnance du 7 septembre 1840 ; 5° aux Iles Saint-Pierre et Miquelon, par les art. 105 et 106 de l’ordonnance du 18 septembre 1844.

187. Le Conseil d’État n’a pas eu souvent l’occasion de statuer sur des conflits élevés en vertu et par application de ces ordonnances. Il suffira d’indiquer ici les principales affaires de cette nature qui lui ont été soumises.

Dans une de ces espèces (5 novembre 1828), le contrôleur colonial de la Guadeloupe, après s’être pourvu en cassation contre un jugement rendu par le tribunal de la Basse-Terre entre l’administration de la marine et la dame Deheyne, avait ensuite élevé un conflit, qui fut annulé par le Conseil privé. Sur le pourvoi du contrôleur devant le Conseil d’État, se présenta la question de savoir si le conflit n’avait pas été tardivement élevé, et cette question donna lieu à la décision suivante :

« Considérant que, dans l’état de la législation coloniale, le conflit a pu être élevé, l’instance étant pendante devant la Cour de cassation, et que les défenses devant le tribunal de la Basse-Terre n’y ont point fait obstacle ; … »

Ce dernier point ne pouvait faire difficulté, en supposant que le tribunal n’eût pas encore statué au fond. Mais, quoique la législation coloniale ne renferme pas une disposition analogue à celle de l’art. 4 de l’ordonnance du 1er juin 1828, il nous paraît probable que, si le Conseil d’État avait été ultérieurement saisi d’un conflit élevé aux colonies après un jugement en dernier ressort, il l’aurait annulé car l’ordonnance de 1828 n’a fait, à cet égard, qu’exprimer la conséquence de principes préexistants ; elle n’a fait qu’appliquer et assurer le respect dû à la chose jugée.



Dans une seconde espèce (24 décembre 1845), le Conseil d’État a décidé que le procureur général, chef du service de la justice, pouvait, en cette qualité, élever le conflit au sujet d’affaires rentrant dans ce service. Il a, de plus, décidé que le conflit pouvait être élevé sans déclinatoire préalable, l’ordonnance de 1828 n’ayant pas été publiée dans la colonie dont il s’agissait.

Dans une troisième espèce (28 août 1848), il a décidé que le commandant militaire de l’Ile delà a Réunion, chef supérieur des milices de cette colonie, était compétent, comme chef d’administration, pour élever le conflit dans une contestation relative à la perception et à la légalité de la taxe de remplacement de ce service.

Par une quatrième décision (4 sept. 1856), il a reconnu que les divers chefs de service du Sénégal ont le droit, non pas seulement de signaler au gouverneur de la colonie les difficultés de compétence qu’ils rencontrent, mais d’élever le conflit devant le conseil d’administration, constitué en conseil du contentieux administratif. Le 10 mai 1860, dans une affaire concernant les établissements français de l’Inde, il a jugé que le conait dont il s’agissait avait pu et dû être élevé, non par le directeur de l’intérieur, mais par le commissaire ordonnateur.

On peut citer enfin d’autres décisions (4 sept. 1856, 18 nov. 1858, 6 août 1861, etc.), qui ont statué sur des conflits provenant des colonies, mais sur des questions qui ne concernaient ni la procédure de la matière de conflits, ni les pouvoirs des autorités investies de cette attribution. 188. Le Conseil d’État a-t-il conservé, depuis 1872, la compétence qui résultait pour lui de ces dispositions, ou bien a-t-elle été transférée au Tribunal des conflits ? La question aurait pu se poser déjà pour le premier Tribunal des conflits (1850-1851) : mais, en fait, elle ne s’est pas présentée à cette époque. Elle n’a pas, non plus, été soulevée jusqu’à ce jour et nous ne saurions préjuger la solution qu’elle recevrait le cas échéant. Mous inclinons pourtant à croire que la loi de 1. n en sérail de même dans Ls autres culuuies régies par

des dispositions aenibl&hles.

  1. Les art. 160 et 161 font partie du chapitre III de cette ordonnance, qui règle, dans ses diverses sections, les différentes attributions du Conseil privé. La section IV, comprenant les art. 160 à 163, détermine les attributions de ce Conseil comme juge du contentieux administratif.
  2. Quant aux formes de ce recours, elles sont déterminées par les ordonnances réglementaires des 31 août 1828 et 26 février 1838.