Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/582

Cette page n’a pas encore été corrigée
566
CONFLIT, 153-154

justice, qui avait été saisie avant le conflit, reprend désormais son cours, sans qu’il reste légalement aucune trace de la suspension momentanée qu’il a subie. Cette première observation suffit déjà pour établir que, même en se tenant à la lettre de l’ordonnance. l’arrêt’é de conflit doit continuer, dans le cas qui nous occupe, à être considéré comme non avenu. Mais l’opinion contraire excède, d’une manière plus sensible encore, l’esprit de cette même ordonnance ses auteurs tent indiqué eux-mêmes le but qu’ils se proposaient ils en ont, par conséquent, marqué la portée et déterminé les limites. Qu’on se reporte, d’ailleurs, à sa date qu’on se rappelle les préventions qui, à cette époque, pesaient encore sur la juridiction administrative, et notamment sur le Conseil d’État, dont les lois contemporaines évitaient même de prononcer le nom, et qu’on se demande s’il est possible de supposer que le Gouvernement ait eu alors" la pensée de revenir sur les concessions, sur les garanties, d’ailleurs salutaires, qu’avait établies l’ordonnance du 1er juin 1828.

153. Vainement on objecte que notre interprétation accorde à l’autorité judiciaire le droitd’annuler un acte du Gouvernement ; vainement on dit qu’un pareil droit est bien autrement grave que celui de prononcer sur la question de savoir si le conflit a été élevé régulièrement et en temps utile par le préfet, et que cependant nous ne lui reconnaissons pas ce dernier pouvoir. Sans contester la gravité de l’attribution conférée aux tribunaux par l’art. 16 de l’ordonnance de 1828, et maintenue, selon nous, par l’ordonnance de 1831, nous pourrions nous contenter de répondre qu’ainsi l’ont voulu les auteurs de ces ordonnances lavis rédigé par la commission de 1828, à l’appui de son projet et le témoignage de M. Taillandier (p. 180)[1] ne laissent aucun doute sur ce point quant à la première ordonnance, et il n’est pas permis, en présence de tels documents, d’admettre que la seconde se soit prononcée subrepticement en sens contraire. Ajoutons que, dans le système de ces ordonnances, cette dérogation aux principes ordinaires était d’une rigoureuse nécessité on avait remarqué que l’art. 27 de la loi du 21 fructidor an III, qui prescrivait de statuer sur les conflits dans le délai d’un mois, n’avait guère été exécuté, parce qu’il était dénué de sanction on se plaignait, non sans exagération, mais enfin on se plaignait des lenteurs que ces affaires, urgentes par leur nature, éprouvaient parfois devant le Conseil d’État on voulait s’assurer que le délai fixé par l’ordonnance nouvelle serait observé, et l’on a cru atteindre ce but en donnant, par exception, une sanction judiciaire aux dispositions nouvelles que l’on établissait. Il convient enfin de remarquer, d’une part, qu’il n’y a aucun inconvénient à réserver exclusivement au juge des conflits le droit de statuer sur les questions qui touchent à la forme du conflit, s’il est sérieusement et efficacement tenu de statuer dans le délai qui lui est prescrit ; d’autre part, que le point de départ de ce délai étant déterminé par le récépissé que délivre le ministère de la justice, après l’envoi complet du dossier, il ne peut y avoir aucune difficulté à appliquer purement et simplement la déchéance qui résulte de la simple expiration du terme fixé.

Nous pensons donc que si, dans le troisième mois, le tribunal n’a pas reçu notification d’une décision intervenue dans les deux mois précédents, ou si la notification qui lui est faite pendant ou «près le troisième mois, constate elle-même que la décision est intervenue après ces deux mois, il peut passer outre au jugement du fond ; nous pensons qu’il le doit, c’est-à-dire qu’il est tenu d’obtempérer à la demande des parties à cet égard, si elles lui présentent cette demande, ou à la réquisition du ministère public, s’il s’agit d’un conflit élevé en matière correctionnelle.

154. Nous reconnaissons pourtant qu’il existe une différence sensible entre le cas où la décision sur le conflit, quoique rendue après les deux mois. a été notifiée dans le troisième mois, et le cas où elle a été tout à la fois rendue après les deux D !:)is et notifiée après le troisième mois. Dans le premier de ces deux cas, on peut dire qu’après tout le vœu des ordonnances est suffisamment rempli par la notification faite avant l’expiration du troisième mois, et que, l’action de la justice étant nécessairement suspendue jusque-là, il n’y a ni danger ni dommage pour aucun intérêt à 1 donner effet à la décision qui est portée, dans ce délai, à la connaissance du tribunal saisi. Cette distinction tire une autorité considérable d’un arrêt de la Cour de cassation du 31 Juillet !1837. (Dalloz, V° Conflit, n° 204.) Dans l’espèce de cet arrêt, les pièces du conflit étaient parvenues au ministère de la justice le 22 juin, et l’ordonnance qui statuait sur le conflit n’était intervenue que le 25 août, mais elle avait été notifiée au tribunal dans tes trois mois, avant le 25 septembre. La partie intéressée ayant formé, nonobstant cette notification, une demande en reprise d’instance, il fut fait droit à cette demande par un arrêt de la cour ide Rennes, du 28 janvier 1836. Pourvoi contre cet arrêt, que la Cour de cassation a cassé en se fondant principalement sur ce que les tribunaux ne peuvent pas prononcer une nullité qui n’a pas été formellement établie par la loi.

Nous croyons avoir réfuté d’avance cet arrêt, qui modifie les ordonnances de 1828 et de 1831 au lieu de les interpréter, et qui fait une très-inexacte application du principe en vertu duquel les tribunaux ne peuvent prononcer des nullités que la lui n’a pas formellement établies. Même dans le droit commun, cela n’est vrai que des nullités d’exploits ou d’actes de procédure ; à plus forte raison cet adage est-il sans valeur dans les matières administratives, où la loi ne prononce

  1. On lit dans l’avis de la commission, que l’ordonnance proposée présente une utilité et des améliorations incontestables… en permettant aux tribunaux de passer outre au jugement du fond, si, dans l’espace d’un mois, il n’était pas statué sur le conflit, et en attachant ainsi une sorte de sanction à l’observation des délais, dans une matière où la suspension de la justice est le plus grand mal qui puisse affecter l’ordre public et l’intérêt des particuliers, etc.

    M. Taillandier, après avoir signalé l’inexécution plus ou moins habituelle de la loi du 21 fructidor an III (pour le délai d’un mois), ajoute : « La forme impérative de l’article dont nous nous occupons, ne permet pas de croire que les délais prescrits par la nouvelle ordonnance ne soient rigoureusement observés. À peine seront-ils expirés, en effet, que les parties peuvent se présenter devant le tribunal et requérir qu’il soit procédé au jugement sur le fond ; ce à quoi le tribunal sera tenu d’obtempérer par le seul fait que le Conseil d’État n’aura pas prononcé sur le conflit. »