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CONFLIT, 102

le conflit. Si le déclinatoire est admis, le préfet pourra également élever le conflit dans la quinzaine qui suivra la signification de l’acte d’appel, si la partie interjette appel du jugement. Le conflit pourra être élevé dans ledit délai, alors même que le tribunal aurait, avant l’expiration de ce délai, passé outre au jugement du fond. »

102. Ce dernier cas peut se présenter dans l’hypothèse où un tribunal, se considérant mal à propos comme juge de la régularité d’un déclinatoire, le rejetterait, non pas comme mal fondé, mais comme non recevable, et passerait outre, sans désemparer, au jugement du fond. Il peut arriver également que le ministère public omette de communiquer le déclinatoire au tribunal, et que celui-ci, dans l’ignorance de la revendication faite par le préfet, procède au jugement du fond ; alors encore, comme dans le cas qui est textuellement prévu par le dernier paragraphe de l’art. 8 le droit de l’administration ne peut être anéanti par la faute des magistrats de l’ordre judiciaire, et, nonobstant la prohibition générale de l’art. 4, ou plutôt en vertu du principe sur lequel repose l’exception à ce principe, annoncée par cet article même, le conflit peut être élevé dans les quinze jours de l’envoi fait au préfet du jugement ainsi rendu sur le fond. Cette exception, quelque nécessaire qu’elle soit, n’est pas sans inconvénients un jugement ou un arrêt que les parties étaient autorisées à croire définitif, peut ainsi, après un temps plus ou moins long, être mis à néant par l’effet d’un conflit inattendu et il n’est pas difficile de comprendre la perturbation que cet événement peut jeter dans des intérêts privés qui se reposaient avec confiance sur la foi due à la chose jugée. La gravité de ces considérations a même fait hésiter quelques esprits sur la question de savoir si, en dehors du cas textuellement régi par le dernier paragraphe de l’art. 8, le conflit pouvait jamais être élevé après un jugement ou un arrêt définitif, alors même que le ministère public aurait omis de remplir l’obligation qui lui est imposée par l’art. 6 ; peu importe aux parties, a-t-on dit, que la faute provienne des agents de l’administration ou des magistrats pour elles, le résultat est le même, le mal est le même ; or, comme c’est à ce mal que l’ordonnance de 1828 a voulu obvier en interdisant, sauf une seule exception, d’élever le conflit après des jugements ou arrêts définitifs, cette exception doit être renfermée dans ses termes, le respect dû à la chose définitivement jugée ne doit recevoir aucune autre atteinte.

Cependant cette argumentation n’a prévalu ni devant le Conseil d’Etat, ni devant la Cour de cassation elle pouvait d’autant moins y prévaloir, qu’elle méconnaissait complètement l’objet et la pensée même du conflit, qui procède de la crainte d’empiétements de la part de l’autorité judiciaire sur l’autorité administrative, et qui, dès lors, ne peut être organisé de façon à fournir à la première de ces autorités le moyen, d’une part, de consommer par une simple omission les empiétements mêmes que l’on redoute, d’autre part, de paralyser l’efficacité de l’arme remise à l’administration pour les combattre.

Aussi, par de nombreuses décisions, le Conseil d’État a constamment déclaré recevables les confits élevés dans de telles circonstances. Nous citerons notamment une décision du 26 août 1835, ainsi motivée :

« Considérant qu’il résulte de la lettre adressée le 24 juin 1835 au préfét du département de la Loire-Inférieure par le procureur général près la cour de Rennes que le déclinatoire du préfet, en date du 15 novembre 1834, a été par lui déposé au greffe et n’a pas été mis sous les yeux de la cour ; que la cour royale de Rennes avait été appelée par ce mémoire à statuer sur sa compétence ; que la cour royale de Rennes n’a statué (au fond), par son arrêt du 9 avril 1835, que dans l’ignorance où elle était de l’existence dudit mémoire, présenté par le préfet, et de son dépôt au greffe ; que l’erreur ou l’omission de l’officier ministériel[1] ne peut faire obstacle à l’exercice du droit que les lois confèrent à l’autorité administrative pour revendiquer, par la voie du conflit, les contestations dont la connaissance lui appartient que le procureur général n’a adressé ledit arrêt du 9 avril 1835 au préfet que le 24 juin 1835 ; que dès lors l’arrêté de conflit du 6 juillet suivant a été pris dans les délais prescrits par l’ordonnance du 1er juin 1828… »

Il a été statué dans le même sens, et quelquefois dans les mêmes termes, les 15 décembre 1842, 21 août 1845 et 21 janvier 1847.

La Cour de cassation a eu, de son côté, l’occasion de s’associer à cette jurisprudence par un arrêt du 26 mars 1834, que nous aurons à citer plus loin (n° 129), et qui a posé en principe que l’administration ne saurait être responsable de l’inobservation de celles des formalités de l’ordonnance de 1828 dont l’exécution n’est pas mise à sa charge. Telle est en effet la distinction qui doit être faite pour résoudre, dans les divers cas où elle se présente, la question de savoir quelles sont les irrégularités qui doivent entraîner la nullité du conflit. Le Conseil d’État, ainsi qu’on l’a déjà vu, ainsi qu’on le verra encore, n’hésitait pas à prononcer cette nullité à raison de l’inobservation ou de la violation des conditions et formalités dont l’accomplissement incombe à l’administration, et il ne se préoccupait pas alors de ce que les ordonnances de 1828 et de 1831 n’ont point prescrit ces conditions et formalités à peine de nullité : cette sanction n’est écrite dans aucune des dispositions de ces ordonnances, elle est généralement inusitée dans les lois administratives, et cependant il n’est évidemment pas possible d’en conclure que ces lois et ordonnances peuvent être impunément violées. Il n’est pas davantage possible de transporter en ces matières la règle de l’art. 1030 du Code de procédure civile, qui porte qu’aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul si la nullité n’en est pas formellement prononcée par la loi, car il ne s’agit ici d’exploits ni d’actes de procédure.

Au surplus, si le préfet venait à être averti, par une voie quelconque, d’un jugement ou d’un arrêt rendu sur le fond dans l’ignorance de son

  1. Le rédacteur de la décision a évidemment voulu dire : l’officier du ministère public. Les décisions intervenues ultérieurement sur des espèces semblables ont évité cette erreur.