Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
AFFOUAGE, 33-35.

prudence contraire était appliquée par la Cour de cassation. (Arrêts du 13 février 1844, 4 mars 1845, 19 avril et 20 juin 1847.) La doctrine de cette Cour a été, en partie, consacrée par des décisions du tribunal des conflits (10 avril et 12 juin 1850), et des arrêts du Conseil d’État des 6, 14 et 21 décembre suivant. Ces décisions sont motivées sur ce que l’art. 2 de la section 3 de la loi du 10 juin 1793 ne défère à l’autorité administrative que la connaissance des questions qui peuvent s’élever sur le mode de partage des bois communaux ; que par ces expressions, mode de partage, le législateur n’a pas entendu soumettre à l’appréciation de l’autorité administrative des questions d’aptitude personnelle desquelles dérive le droit individuel ; que la loi de 1837, en chargeant les conseils municipaux de régler les affouages, n’a pas dérogé aux règles établies par la législation antérieure et au droit commun sur la compétence des tribunaux civils.

Par suite de cette jurisprudence nouvelle, le Conseil d’État a admis que c’était aux tribunaux civils : 1o de décider si un habitant doit être qualifié chef de famille ou de maison, ayant domicile réel et fixe ; 2o s’il a le droit de prendre part aux distributions d’affouage, bien qu’il soit étranger non naturalisé, même lorsque la question de nationalité n’est pas contestée ; 3o s’il a pu, par une longue jouissance, acquérir droit à une double portion d’affouage.

33. D’un autre côté, il a été reconnu que c’est à l’administration seule qu’il appartient de statuer sur les contestations que peut faire naître le mode de partage des biens communaux, et, par conséquent, sur l’existence des usages locaux (Arr. 3 mars 1853), et sur leur interprétation doctrinale, sur la question de savoir si un conseil municipal a pu régler le mode de jouissance de manière que le droit d’affouage ne s’exerçât plus suivant l’usage antérieur, et si les habitants ont droit à l’affouage en raison du toisé de leurs bâtiments. (Décr. sur Confl. 5 déc. 1850.) Voici le texte de l’arrêt du 12 août 1854, intervenu sur la question :

« Considérant que, en cas de contestation entre une commune et un habitant sur la question de savoir si celui-ci remplit personnellement les conditions nécessaires pour être mis en jouissance d’un lot de biens communaux, c’est à l’autorité judiciaire qu’il appartient de prononcer sur le droit que le réclamant peut avoir à cette jouissance.

« Mais que, si à l’occasion de cette réclamation, il s’élève entre la commune et l’habitant une contestation sur le mode de jouissance des biens communaux et sur l’existence des conditions spéciales d’admission à cette jouissance qui auraient été établies par des règlements administratifs, c’est à l’autorité administrative qu’il appartient d’après les lois susvisées, de reconnaître le mode de jouissance, et de vérifier l’existence des conditions contestées. »

Si des contestations s’élevaient à l’occasion des taxes affouagères, il est certain que l’autorité contentieuse administrative serait seule compétente pour en connaître.

34. D’après ces diverses décisions le règlement des modes de jouissance appartient à l’administration, l’appréciation des aptitudes personnelles appartient à l’autorité judiciaire. Dans l’espèce qui a inauguré la nouvelle jurisprudence, le tribunal de Langres se fondait sur ce que « l’affouage n’étant autre chose qu’un droit d’usage établi au profit des habitants d’une commune dans les bois dont elle est propriétaire, toutes les contestations d’aptitude nécessaires pour participer à l’exercice de ce droit, constituent dès lors une véritable question de propriété dont la connaissance appartient exclusivement aux tribunaux ordinaires ; que pour qu’il en fût autrement, il faudrait que les lois invoquées dans la cause, en attribuant à l’autorité administrative le pouvoir de régler tout ce qui est relatif au mode de répartition des fruits communaux, eussent investi cette même autorité par une dérogation formelle à l’ordre des juridictions, de la connaissance de tous les débats relatifs au fond même du droit ; mais qu’il n’en est pas ainsi, etc. » Le tribunal des conflits, en reproduisant la dernière partie de cette argumentation, semble accepter le principe qui ferait de l’affouage un droit d’usage et de servitude réelle. Au commencement de cet article, nous avons montré que telle n’avait pas été l’intention du législateur de 1827, et la plupart des règles de l’affouage découlent au contraire de ce que ce droit n’est qu’un mode particulier de jouissance d’une propriété communale d’une nature spéciale.

35. Pour nous, la vérification des aptitudes personnelles n’est que la constatation d’une qualité communale, c’est-à-dire administrative ; nous pensons que l’administration, seule compétente pour juger les réclamations qui seraient élevées contre les taxes d’affouage, l’est également pour juger de l’admission à ces rôles ; nous ne saurions donc considérer la jurisprudence actuelle que comme une transaction qui, en attendant une législation nouvelle, accepte par compromis les décisions du tribunal des conflits. Ajoutons que l’administration ne perd pas pourtant toute action sur la manière d’envisager les aptitudes individuelles, puisqu’elle conserve le droit de les définir réglementairement au moyen des délibérations municipales qui, après être devenues régulièrement exécutoires, forment la loi des tribunaux. Enfin, l’avenir semble être promis à notre doctrine, si, pour régler ce point de compétence, on s’attache à la nature éminemment administrative de la distribution des affouages.

A. de P.
bibliographie.

Le Code forestier conféré et mis en rapport avec la législation qui régit les différents propriétaires et usagers dans les bois ; 2 vol. in-8o. Besançon, Gauthier frères. 1828.

Traité de l’affouage dans les bois communaux, par Migneret ; 3e édition, revue et corrigée ; in-8o. Paris, Delamotte. 1844.

Du droit d’usage dans les forêts, de l’administration des bois communaux et de l’affouage, par Bories et Bonassie ; 2 vol. Auch. 1847.

Code forestier. — De la distribution de l’affouage aux habitants des communes, par M. Lelut. Revue de législation, et de jurisprudence, t. XL, p. 44 (1851).

Traité historique et pratique de la législation des